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L’homme à la pipe de plâtre

Légende de l’homme à la pipe de plâtre

Il était très grand et mince, sans être maigre. Un nez long et fin complétait son visage angulaire aux pommettes hautes et saillantes. Son regard d’acier, étincelant, semblait lire dans les pensées des autres. Il avait toujours à sa bouche une pipe de plâtre, serrée entre ses dents, ce qui accentuait son allure déterminée. Une longue barbe noire striée de gris ornait ce visage impassible. Coiffé d’un chapeau haut de forme et vête d’une redingote noire d’une autre époque, on aurait dit un personnage sorti du passé. Son apparence redoutable était trompeuse; au fond cet étranger était plutôt doux. Il possédait une certaine culture et s’exprimait dans un français très correct avec un fort accent toutefois.

Un beau matin de juin de l’an 1915, il était descendu du traversier qui venait d’accoster à Cap-aux-Meules. Durant ce temps, la guerre faisait rage en Europe. On le prit d’abord pour un espion. Mais qui serait-il venu espionner aux Îles-de-la-Madeleine? Il n’y avait de soldats stationnés là, ni armements. Courbe sous le poids des deux grosses valises qu’il transportait, il dut, à plusieurs reprises, s’arrêter; il en profitait alors pour demander des renseignements à des gens qui travaillaient sur le quai.

Il cherchait, leur dit-il, une maison où loger pour quelques semaines, on lui suggéra des adresses. Il gravit lentement la butte du Marconi et s’arrêta à une des adresses qu’on lui avait données. La maîtresse de maison eut un mouvement de surprise en l’apercevant. Réalisant son étonnement, il s’en excusa et poliment lui demanda une chambre en même temps que la possibilité de se nourrir pour un mois. Il le fit monter au grenier et lui offrit une petite chambre du côté nord-est d’où on pouvait voir tout le Havre-aux-Maisons. Il la lui paya comptant pour un mois à l’avance. Elle ferma la porte de la chambre derrière elle et descendit à la cuisine. Au bout de quelques heures, il descendit à son tour. Elle profita de l’occasion pour lui demander son nom. « Mon nom est Léon Tolstad, dit-il. Je suis écrivain d’origine norvégienne ». Un peu rassurée, Mathilda, la maîtresse de maison, se dit qu’il cherchait sûrement un lieu tranquille pour écrire.

Quand son mari Georges entra du travail le même soir, elle lui parla du nouveau et étrange pensionnaire; il se contenta d’ajouter :  « Pourvu qu’il paie bien! J’vas tout de suite essayer de savoir d’où cé qu’il vient. » Georges rejoignit l’étranger mais, après plusieurs heures de conversation avec lui, il n’en savait pas davantage. Rusé comme un renard, le soi-disant écrivain détournait adroitement les questions trop personnelles que Georges lui posait.

Quel personnage bizarre! Tous les matins, il se levait tôt; aussitôt après le déjeuner, il sortait emportant avec lui petite pelle et un sac de jute. Il se rendait ensuite sur la plage de l’Anse chez Louis. Là, on pouvait le voir des heures durant marcher tête basse comme s’il cherchait quelque chose par terre. Un matin, après son départ, en faisant le ménage dans sa chambre, Mathilda aperçoit sa valise entrouverte sous le lit d’où paraissait un morceau de papier. Poussée par la curiosité, elle le saisit : c’était une carte détaillée des Îles-de-la-Madeleine. Et, à l’endroit où l’étranger se rendait chaque matin, il y avait sur la carte un cercle tracé au crayon rouge.

S’il y avait un trésor de caché à cet endroit de la plage? pensa Mathilda. Ce qu’elle trouvait étonnant, par ailleurs, c’était que l’étranger qui se disait écrivain n’écrivait pas en réalité. Il avait bien plusieurs livres dans ses valises, mais aucun papier blanc pour écrire. Elle en fit part à son mari qui lui dit : « L’autre soir, je r’gardais par le trou de la serrure, par curiosité. Il était penché sur une carte des îles qu’il examinait à la loupe. J’ai trouvé ça curieux. T’a peut-être bien raison : il doit chercher un trésor… ça expliquerait pourquoi il a toujours avec lui une pelle et un sac.

Trois semaines plus tard, alors que le traversier était accosté à Cap-aux-Meules, l’étranger revint précipitamment à la maison avec, dans son sac, quelque chose qui semblait lourd.

Après avoir préparé ses valises, il remercia Mathilda et l’avertit de son départ. Il descendit lentement la butte avec ses bagages alors que Mathilda, elle, le suivait toujours des yeux. Il s’engouffra enfin dans le bateau qui décolla peu de temps après.

Le soir venu, elle annonça le départ de l’étranger à son mari et lui raconta sa rentrée hâtive de la plage avec son sac alourdi. Georges sortit en vitesse et se rendit à la plage de l’Anse chez Louis pour finalement constater qu’un grand trou venait d’être creusé; à cet endroit, le sable y était encore mouillé. Quel était donc ce trésor que l’homme à la pipe de plâtre avait trouvé? Mystère!…

(Extrait des Contes et légendes des Îles-de-la-Madeleine. Par Azade Harvey. « Azade : Raconte-moi tes Îles, » Ont participé à la réalisation de ces légendes Guy Saint-Jean, Robert Davies, Marie Décary, Rolande Vadeboncœur, Monique Saint-Jean, Carmen Garcia).

Voir aussi :

  • Voyage aux Îles-de-la-Madeleine
  • Phil, l’enfant terrible
Paysage de l’île Cap-aux-Meules. Photo : Expedia.


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