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La culture immigrée

Le Québec et la culture immigrée (Par Robert Lévesque, mars 1982)

L’Italien qui quitte son village de Calabre pour s’installer en Amérique, rue Jean-Talon; le Gaspésien de Rivière-au-Renard qui quitte la mer. la morue salée et l’école du village pour monter à Montréal et se louer un «troisième» rue Christophe-Colomb, ont des choses importantes en commun: un départ, une rupture, un saut dans le vide, l’exil. Le premier a besoin d’un passeport et change de langue. Le second a besoin d’une valise et change de vie. Les deux quittent des univers homogènes et arrivent en ville. Immigrés.

Marco Micone, dont la pièce Gens du silence exprime bien le sort urbain du premier, a bien cerné, lors de ses interventions à L’Interculturelle, ces interrelations, Cette solidarité à découvrir, qui existent à Montréal entre les différentes communautés culturelles, y compris les Québécois francophones et anglophones nés ici de parents dont les parents étaient arrivés d’ailleurs. Nous sommes tous venus d’ailleurs, sauf les Amérindiens.

La tenue à Montréal d’une première Semaine de l’Interculturelle, du 15 au 19 mars, quoique son demi-échec lui ait enlevé tout impact, a toutefois permis à certains représentants des communautés ethniques de Montréal, ceux qui écrivent ou tentent d’écrire et d’éditer, d’élaborer un embryon de discours sur la culture immigrée, notion qui rejette toute assimilation des communautés culturelles à l’hégémonie culturelle «québécoise» et qui tente de créer, au contraire, un équilibre des paroles.

Les Québécois francophones sont, en général, prompts à brandir l’étendard de la culture salvatrice; les écrivains, les artistes, intellectuels, et tous les concernés, ceux qui sont attentifs aux mouvements culturels, vont plutôt sur-colloquiser (et en remettre) sur l’importance de l’activité culturelle libérée dans le devenir d’un pays comme le Québec, un pays incertain Cela s’est de tout temps vérifié pour toutes les générations actuelles. Mais voici que cette notion nouvelle de l’interculturelle, qui est en retard sur la réalité cosmopolite de Montréal, est venue troubler cette tranquillité nationale qui est souvent le lot de plusieurs écrivains «d’ici». L’événement organisé par l’Union des écrivains québécois a laissé froid ceux qui auraient été susceptibles de saisir cette notion fondamentale d’exil qui est à la base de toute oeuvre.

Alors que l’occasion était là d’amorcer un premier déblocage, de casser la glace entre créateurs québécois francophones, anglophones et allophones (je n’aime pas ce mot de fonctionnaires, symptomatique de cette hégémonie à briser), de s’interpeller et, dans l’idéal, de commencer à abattre ces cloisons ridicules entre créateurs aux prises avec le même vécu contemporain, le même sort d’exister ici maintenant, voilà qu’il y a eu obstacle: un sentiment de gêne peut-être, de retenue sans doute, de méfiance aussi, et, au pire, d’indifférence, ont fait en sorte que cette perspective de discussion, d’élargissement du débat culturel à ses différents points cardinaux possibles n’a pas eu lieu, comme le souhaitait Denis Monière.

Mais plusieurs écrivains et intellectuels de différentes communautés ethniques de Montréal ont quand même pris la parole lors du débat où il n’y a pas eu de contrepartie. Qu’avaient-ils à dire’’ Marco Micone s’est fait le plus incisif. Pour lui, il n’y a pas de culture grecque, portugaise, italienne ou haïtienne à Montréal et au Québec. «Il y a une culture vécue par des immigrés de ces mêmes origines, c’est la culture immigrée. Elle est vivante au Québec depuis des générations» Pour Micone, qui a choisi le théâtre comme instrument de changement social, la tâche de cerner et codifier cette culture immigrée «incombe avant tout à ceux d’entre les intellectuels immigrés qui sauront s’affranchir de l’emprise de la culture dominante». Il affirmait: «La culture des sociétés de type capitaliste n’a d’autre but que celui de nier les antagonismes de classe et réduira au silence toute expression culturelles minoritaire. Les mythes du «melting pot» américains, du multiculturalisme canadien et du «nous sommes tous québécois» ne représentent que quelques exemples des plus éloquents».

Rejetant toute idée d’assimilation culturelle, mais ajoutant que le progressisme pour les Italo-québécois débouche sur une intégration de classe entre les groupes ouvriers, Micone fait reposer sur trois axes complémentaires sa notion de «culture immigrée»: le vécu des immigrés au pays d’origine, l’expérience émigration-immigration. et le vécu au pays d’accueil. «On se rendra compte des points communs aux divers groupes d’immigrés et partant de la nécessité de regroupement sur la base de ceux-ci dans le but de donner plus de poids aux revendications dans les domaines du travail et des conditions de vie. On découvrira aussi des lieux de solidarité avec les classes populaires québécoises car le out ultime de la valorisation et de l’appropriation par les immigrés de leur culture est d’éviter la marginalisation et les attitudes corporatistes pour augmenter l’efficacité des luttes de chacun».

«Si à l’avenir on veut s’attaquer aux vrais problèmes, concluait Marco Micone, il faudra que tout organisme intervenant auprès des immigrés tienne compte des trois axes de la culture immigrée. Celle-ci a été laminée par le rouleau compresseur de a culture dominante, ignorée par le pouvoir en place et folklorisée par des politicailleurs. Les écrivains et écrivaines immigrés, de concert avec les organismes qui œuvrent à l’émancipation des classes populaires de leurs communautés doivent par leurs écrits aider les congénères à prendre possession de leur culture». Pan Bouyoucas, d’origine grecque, a élaboré lui, dans un registre moins politisé que Micone, sur la notion d ‘absurdité liée au «double exil». Lui, Bouyoucas, à force de «lutter avec le français», il a perdu beaucoup de sa langue natale. Il raconte: «Invité à une soirée hellénique à Vaudreuil, je devais parler, moi dont le grec s’est détérioré parce que j’ai voulu écrire en français, je devais parler à des gens qui, pour la plupart, ne connaissaient même pas l’anglais, et je devais leur parler de textes dont ils avaient été l’inspiration et le sujet, mais qu’ils ne pouvaient pas lire.

Si l’écriture est dialogue, je me rendais soudain compte que je n’avais personne à qui parler.» Un exil sans recours, disait Camus, puisque l’homme est privé de souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Dans ce divorce, c’est là que Bouyoucas parle d’absurdité en se demandant s’il s’agit bien d’une conjoncture ce fait que «que les chefs de file du théâtre de l’absurde soient Becket, Ionesco, Adamov, tous trois des immigrés écrivant dans une langue autre que celle du petit univers familier de leur enfance». «S’il parvient à faire de son exil un état naturel, affirmait Bouyoucas, c’est que l’immigré est séparé non seulement de son vécu mais de son présent, pour en devenir le témoin impartial. En fait il se libère, à travers son mal solitaire, de ces filiations — linguistiques ou autres — qui encombrent tant d’écrivains, pour atteindre une certaine lucidité qui lui permettra d’accéder à une plus claire compréhension du monde». Et Bouyoucas, visionnaire, parle de ce «vertige évolutionnaire qui finira par faire des exilés de ces auteurs restés bien ancrés chez eux. Tôt ou tard, à la vitesse où vont les choses, ils se sentiront arrachés du jour au lendemain à tout ce qui leur est familier».

Marilu Mallet, qui était cinéaste au Chili d Allende et qui en exil à Montréal est devenu écrivain («ce qui ne me serait pas arrivée au Chili» dit-elle), tient un discours optimiste: «Dans un sens, a-t-elle affirmé lors de l’Interculturelle, peut-être que le privilège le plus grand qu’un écrivain peut avoir, c’est d’écrire hors de son pays d’origine. La réalité à laquelle il fait référence est nourrie par le souvenir, par l’imagination. La distorsion de cette réalité et l’oubli du vécu quotidien recréent un imaginaire mythique et l’auteur compare le «là-bas et l’ici» continuellement, lui donnant une dimension plus universelle que s’il était renfermé dans son propre univers culturel. L’interpénétration culturelle se produit d’elle-même et l’écrivain peut en jouir.» Au soutien de sa thèse, Mallet va chercher James Joyce qui avait écrit: «If one wishes to devote one’s book to the true benefit of one’s country, one must write them abroad». Mais Marilu Mallet circonscrit une problématique: «D’un côté, l’écrivain étranger au Québec jouit du privilège de nourrir son imaginaire mais, à cause de la structure politique et sociale, il souffre des mêmes limites que n’importe quel citoyen du Québec. Le système dans lequel on vit produit un phénomène d’atomisation, d’isolement.

Comme les groupes ethniques qui n’ont pas de contacts entre eux, les gens qui travaillent dans les différentes disciplines culturelles ont peu de contacts entre eux. Pour l’écrivain étranger, c’est difficile de s’intégrer dans un cadre de travail déjà fragmenté. Et quand le métier d’écrivain est un métier solitaire, le problème se pose doublement». Marilu Mallet a lancé un bon conseil: «Les Québécois qui travaillent dans le domaine de la culture devraient aller séjourner à l’étranger, parce que plus ils vivront des expériences différentes, plus ils seront ouvertes aux étrangers dans leur pays».

De son côté, l’écrivain d’origine péruvienne Carlos Quiroz n’est pas sûr du tout que ce soit en laissant sa langue et en adoptant celle du pays d’accueil que l’écrivain immigré pourra atteindre «sa» culture nouvelle. Il propose la création d’une maison d’édition multiculturelle où chacun pourrait avoir la possibilité de publier dans sa langue. C’est dans l’expression restreinte de sa langue et le peu d’accès à sa littérature que l’écrivain immigré, affirme Quiroz, se sent le plus frustré quant aux besoins de sa pensée. «S’il veut aller plus profondément et plus intensément dans son art, il doit continuer à écrire dans sa langue maternelle…».

Pour Jean Jonassaint, de la communauté haïtienne, c’est l’intervention. L’éditeur de la revue Dérives croit qu’il faut que le gouvernement prenne e grandes décisions pour permettre une réelle participation des hommes et des femmes de souches non française ou anglaises au devenir littéraire du Québec, une culture non plus immigrée mais une culture généralisée, englobant toutes ses composantes ethniques. Pour cela, Jonassaint préconise la déclaration de l’espace québécois comme espace métis, pluriel et non homogène. Et que les manuels scolaires de tous niveaux en fassent une caractéristique première de cet espace géographique et politique.

Comme on le voit, il aurait pu se produire des échanges décapants à cette Interculturelle si tout ne s’était pas déroulé à sens unique. Cet échec d’un premier dialogue ouvert a sans doute plusieurs explications circonstancielles. On a convoqué une rencontre -sans s’être assuré de la participation québécoise francophone; on a voulu concentrer sur les problèmes précis de l’écrivain le sort beaucoup plus vaste de l’intellectuel immigré; on a peu publicisé l’événement; on a fait des gaffes comme cette exposition de publications néo-québécoises «mises sous verre» dans le hall de la Bibliothèque nationale comme des pièces de musée; on a voulu trop officialiser une rencontre qui perdait ainsi de sa spontanéité; etc… Mais il demeure un malaise, le sentiment que les Québécois francophones ne sont pas disposés encore à reconnaître une culture qui serait d’ici, elle aussi, et qui serait différente: une culture immigrée.

Voir aussi :

  • Nos textes sur l’immigration au Québec
La culture des fleurs…. Photo de Megan Jorgensen.


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