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L’Expo-67 vue par Robert Rumilly

L’Expo-67 vue par l’historien Robert Rumilly

En 1967, Montréal s’apprête à une aventure exaltante, L’Expo doit s’ouvrir le 27 avril. Tout Montréal compte le temps : plus que six jours, plus que cinq jours, plus que… Le premier ministre du Québec, Daniel Johnson inaugure le Pavillon du Québec le 21 avril. La plus grande exposition universelle qui se soit jamais organisé à coûté $650.000.000 et quatre années de travail sans répit. Le gouverneur général Michener l’ouvre officiellement le jeudi 27, en présence de 6.000 invités. Jean Drapeau révèle tout de suite son projet de « faire de la Terre des Hommes une cité mondiale permanente ». Le public n’est admis que le lendemain. Le premier visiteur entré ce jour-là est un musicien de jazz de Chicago, Al. Carter, qui s’est fait un point d’honneur d’arriver le premier à toutes sortes de grandes manifestations. Il attendait, devançant ainsi un groupe d’étudiants, depuis la veille à dix heures du matin. Le soleil favorise ces journées. Les calculatrices avaient prévu 119 000 visites pour la première journée; les tourniquets en enregistrent plus de 250.000, sans embouteillage sérieux. Le premier dimanche, le beau temps persistant, les 710 000 visiteurs pulvérisent le record de 610.000 établi à Bruxelles lors de l’exposition précédente. Le jeudi 3 mai, 125.000 personnes viennent malgré la pluie.

L’entreprise est colossale. Le service de sécurité compte, à lui seul, 1500 agents, tous bilingues. Pierre Dupoy, à 70 ans, abat des journées de 12 à 15 heures de travail. Il s’est efforcé, avec succès, d’obtenir la participation des pays de L’Afrique noire. La présence du pavillon des États-Unis et du pavillon de l’URSS, face à face, suffirait à elle seule à fixer la curiosité. Le pavillon des États-Unis, œuvre audacieuse – belle réussite technique – de l’architecte et philosophe R. Buckminster Fuller, est un dôme géodésique d’une hauteur de vingt étages. Le minirail le traverse toutes les trois minutes, avec ses six wagons bourrés de monde. Le pavillon de l’URSS, décoré de la faucille et du marteau, donne, en face de son rival, une impression de légèreté. On y vend des albums, des disques, des photos, des timbres de propagande. D’autres pavillons, aux silhouettes toutes différentes et souvent inattendues, constituent d’étonnantes réalisations architecturales.

L’Habitat 67, d’une solidité irréprochable, d’une excellente méthode de construction – mais appliquée sur une échelle trop restreinte pour être rentable – plaît aux novateurs et surprend les profanes. L’Habitat offre de petits appartements, très privés et joliment décorés, avec patio et vue sur le fleuve et qui donnent l’impression d’être perchés. Mais l’escalade des prix à négliger la décoration extérieure.

La réussite de l’Expo est vite connue dans le monde entier. Les « journées nationales y contribuent. C’est le domaine de Pierre Bellefeuille, garçon très froid, sachant analyser une situation et fournir en langage clair des arguments probants. L’administration de l’Expo fait coïncider les journées nationales avec la visite des chefs d’État.

Hailé Sélassie, empereur d’Éthiopie, arrive le premier, au jour dit – le 2 mai. Il est reçu au pavillon de son pays – une grande tente rouge surmontée de lion de Juda – par deux dignitaires de l’Église copte, l’encensoir à la main, suivant le rituel d’usage. Le premier ministre de l’île Maurice suite le négus de près. La plupart des hommes d’État viennent au Canada pour la première fois. Presque tous en profitent pour rencontrer le premier ministre Pearson, pour établir ou fortifier des contacts. Pierre Dupuy ne manque presque pas une journée nationale ou un déjeuner officiel. Le festival est le rayon de Philippe de Gaspé Beaubien, de qui relève aussi le centre d’amusements de La Ronde, le service de sécurité, les concessions et licences (grosse source de revenu pour l’Expo), bref, tant de choses, exigeant tant d’ubiquité, que Beaubien est tôt surnommé « le maire de l’Expo ». Montréal acclame, comme prévu, des orchestres, des troupes dramatiques, des groupes de folklore de Tous Les coins du monde – et même, au pavillon de la France, des défiés de mode. Montréal est une ville universelle. Montréal est la capitale du monde.

L’affluence dépasse les prévisions. À ceux qui arrivent en avion, à la nuit tombante, Montréal apparaît comme une immense et scintillante couronne de lumières autour d’une masse sombre, qui est le mont Royal et que traverse, comme la double rangée d’un collier de perles, l’éclairage de la voie Camilien-Houde. Un voilier canadien, le Bluenose II, amarré au quai Mark Drouin, accueille des bateaux battant pavillon de tous les pays. Il vient un bateau-école des États-Unis; il vient une escadre de la Royal Navy.

Daniel Johnson et Jean Lesage ont lancé un appel conjoint, engageant les Montréalais à une hospitalité parfaite. Cependant des touristes ne trouvent pas ou trouvent mal à se loger. Certains ont effectué des dépôts ou même payé d’avance pour des logements inexistants, ou des campements insalubres ou trop éloignés de l’Expo. On parle de trafic d’influence, de commissions versées, et surtout de négligence ou d’insuffisance du service. C’est la seule ombre au tableau. Logexpo est sur les épines. L’hôtel Reine-Élizabeth, propriété du Canadien-National mais administré par Hilton Canada, critique l’organisme officiel. Robert Shaw, sous-commissaire général de L’Expo, se pique, et défie le Reine-Élizabeth de se substituer à Logexpo. Nelson Vermette, vice-président et directeur-gérant du Reine-Élizabeth, relève le défi : « Nous sommes prêts – de préférence avec d’autres hôteliers – pourvu qu’on nous donne le contrôle absolu du service. » Le Reine-Élizabeth établit un service gratuit de renseignements pour les visiteurs en panne.

Cette unique faiblesse ne gâte pas toute la réussite. La reine des Pays-Bas est venu le 18 mai. Le président Johnson, des États-Unis, ne fait qu’une visite-éclair, en raison de la tension internationale due aux événements du Proche-Orient. Le Koweït abandonne l’Expo, en protestation contre l’attitude du Canada dans cette crise. C’est la seule défection. Le pavillon de Formose est détruite par un incendie, mais l’hypothèse d’un acte criminel est écartée et le courageux Chinois reconstruisent leur pavillon.

Il vient 293 000 personnes le samedi 10 juin, et la pluie même n’arrête pas les fanatiques. Le total des visites, à cette date, approche de 11 millions et demi – quatre de plus que les prévisions originales. Philippe de Gaspé Beaubien, directeur de l’Exploitation, annonce que les recettes dépassent les espérances (mais les dépenses dépassent les appréhensions).

… Tout se prête à une apothéose. L’optimisme déborde. Le monde des affaires a confiance dans l’administration municipale. Le gratte-ciel de la Banque Canadienne Nationale donne un regain de vie à la place d’Armes. La maison Eaton’s précise son projet de centre commercial, qui coûtera $125 000 000 : une sorte de nouvelle Place Ville-Marie, d’ailleurs reliée par souterrain à la Place Ville-Marie et à la Place Bonaventure. Les galeries marchandes p couvertes – de cette nouvelle « Place », de la Place Ville-Marie, de la Place Bonaventure et de la Place Victoria (ou Place de la Bourse) formeront un complexe souterrain relié au métro, aux grands hôtels et aux gares de chemins de fer, unique au monde. Le Pacifique-Canadien ébauche un projet encore plus grandiose. Les propriétaires de la Place Victoria songent à construire la seconde tour. Le succès – l’explosion – de l’Expo tourne les têtes. Les projets foisonnent. Drapeau caresse le rêve de rendre l’Expo permanente. Cela conviendrait à une ville de congrès – à la ville qui doit compter, après Paris, le plus grand choix de restaurants de premier ordre. Montréal grouille de visiteurs, de couleurs, de lumières, de musiques, grouille de vie.

Jean Drapeau rêve de prolonger ce succès. Le parc d’amusements de La Ronde a été délibérément conçu dans cet esprit. Des concessionnaires auraient besoin d’une prolongation pour amortir leur mise de fonds. Et la disparition d’un pavillon comme celui des États-Unis, réussite technique assez extraordinaire, serait regrettable.

Drapeau suggère aux représentants étrangers : « Il serait dommage de démolir tout cela… » Les étrangers accueillent volontiers une idée qui leur épargnerait les fais de démolition. La Belgique annonce déjà le don se son pavillon à la ville de Montréal. Frank Hanley déménagerait les Nations-Unies de New-York pour les installer à la Terre des Hommes. L’Expo n’est pas tellement l’affaire du Canada, bien que les documents officiels puissent le prétendre. Elle n’est pas seulement l’affaire de Jean Drapeau, bien que son ubiquité – son art d’être là au bon moment – ces déclarations multipliées, son audace, son panache blanc que tout le monde suit l’identifient avec elle.

C’est l’affaire de Montréal et des Montréalais, de tous les Montréalais. Un visiteurs de Calgary peut objecter : « nous payons notre part » Les Montréalais, bons discuteurs, répondent que l’habitant de Calgary ne paie qu’une fois, au plan fédéral, alors que nous payons triple contribution, à travers les « octrois » fédéraux provinciaux et municipaux. L’Expo est l’affaire de Montréal, la gloire, le triomphe, l’apothéose de Montréal. On ne trouverait naturel de transformer la ville en capitale internationale permanente? Saulnier lui-même, qui passe pour un esprit réaliste, envisage une sorte d’Expo permanente, accessible au public. Il est tacitement convenu que l’on conservera au moins le parc d’attractions de La Ronde : la Ville pourrait l’acquérir pour un dollar.

En attendant, l’administration Drapeau-Saulnier aimerait annexer Verdun, qui serait un gros morceau. Voilà qui ressemble à la fois aux idées de grandeur du maire et aux convictions annexionnistes du président. Une ligue des Propriétaires de Verdun, qui favoriserait l’annexion mais ne réalise pas l’unanimité, demande un referendum, que le maire Gariépy refuse.

Dmitri Polyansky, vice-président du Conseil des ministres de l’Union soviétique, préside à la journée nationale russe, le 15 août. Après la bombe gaulliste, les sous-entendus peut-être agressifs de son discours paraissent anodins. Jean Drapeau, Lucien Saulnier et Aimé Désautels, directeur du service d’urbanisme, présentent un plan directeur de « la région métropolitaine en l’an 2000 », au théâtre Maisonneuve, aux maires de Moscou et de Varsovie et aux représentants de 400 municipalités. Nos mais de banlieue répriment – à peine – un rictus. Le cardinal Franz Koenig, archevêque de Vienne, célèbre la messe à Notre-Dame, le 3 septembre. La Philharmonique de Vienne et un chœur de l’Opéra de Vienne exécutent la Messe du Couronnement, de Mozart.

Le roi Constantin de Grèce visite l’Expo le 6 septembre. L’été est beau, dans l’ensemble. L’affluence continue de dépasser les prévisions, malgré la faille du logement. Le métro fonctionne à merveille, ou presque à merveille car il y fait trop chaud. Tous les accoutrements se coudoient sans qu’on songe à les remarquer. Toutes les nations, toutes les races fraternisent. Le pavillon de la Tchécoslovaquie remporte tous les suffrages. Mais on fait la queue devant presque tous les pavillons comme devant presque tous les restaurants de l’Expo.

Pierre Dupuy souhaite la bienvenue au plénipotentiaire de la République démocratique du Congo, dernier chef d’État, ou représentant d’un chef d’État, à visiter l’Expo, le 20 octobre 1967. Une quarantaine de pays ou d’exposants ont fait don de leur pavillon à Montréal. Jean Drapeau lance publiquement le projet de rendre l’Expo permanente. Montréal, tenacement attachée à son Expo, aurait trop de peine à la voir disparaître. Toronto proteste, craignant une concurrence pour son exposition annuelle. Mais le gouvernement Johnson accepte de participer au financement de La Ronde.

L’Expo reçoit encore de 200 000 à 300 000 visiteurs par jour, 400 000 le dimanche, malgré l’entrave d’une grève des chauffeurs d’autobus. Les cinquante millions de visites sont dépassées. On dénombre 53 pour cent de visiteurs canadiens et 45 pour cent d’Américains, ce qui laisse un bon contingent de visites extracontinentales. Les diverses lignes aériennes ont déversé un million et demi de voyageurs à Dorval. Le port de plaisance a reçu plus de 7000 bateaux. Le pavillon russe, suscitant la plus vive curiosité, a reçu le plus grand nombre de visites : 13 000 000 en chiffres ronds; le pavillon des États-Unis le suit avec 9 000 000. L’Expo a coûté cher, mais a fait rentrer des devises. Jean Drapeau, le cœur serré, préside à la clôture de l’Expo, place des Nations, le 29 octobre. Acclamé par la foule, il s’écrie : « L’Expo n’est plus; vive la Terre des Hommes! »

(Extrait du livre Histoire de Montréal, par Robert Rumilly de l’Académie canadienne française. Tome V 1939 – 1967. Éditions Fides, 245 est, boulevard Dorchester, Montréal).

Expo 67 Pavillon du Canada, carte postale de l’époque. Image libre des droits.


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