Get Even More Visitors To Your Blog, Upgrade To A Business Listing >>

Forêt québécoise : Période moderne

Forêt québécoise : Période moderne

Cette période comprend les débuts de la colonisation, qui ne nous fournissent que des débris épars pour l’histoire des forêts et la phase d’intense défrichage et d’exploitation réglementée pour laquelle les documents abondent.

C’est dans l’ouvrage de Charlevoix et les Relations des Jésuites que nous devons puiser les premiers renseignements sur les forêts modernes. Sans satisfaire notre curiosité sur tous les points, ces documents nous donnent des détails intéressants. Il faut noter toutefois que l’est seul était connu des premiers missionnaires: l’historien du grand tremblement de terre de 1663 nous apprend qu’à cette date on n’avait pas encore suivi le fleuve St-Laurent jusqu’à sa source (Relations des Jésuites, vol 48, p.20). Il ne faut pas oublier non plus, en cherchant à reconstituer l’étendue des forêts, que les auteurs des Relations, tout en généralisant, ne parlaient que de la région connue d’eux, et que le mot Canada n’avait pas toujours le sens qu’il a aujourd’hui: d’après la relation de Bressani, écrite en 1653, la Nouvelle-France qui, pour beaucoup, était synonyme de Canada, s’étendait du 36e au 52e degré de latitude, c’est-à-dire de la Virginie aux environs de la source du grand fleuve St-Laurent1; dans sa relation de 1611-16, Biard avait été plus précis et avait distingué: Canada: « qui n’est seulement que la partie la plus septentrionale de la Nouvelle-France » et comprend « cette tenue de pays… laquelle s’étend au long des rivages du grand fleuve Canada et le golfe de St-Laurent; » Y Acadie, ou pays des Souriquoys, plus bas vers le sud; « et plus bas encore, au-delà de la Baie Française est la Norambègue. »

Grâce à cette précision, nous saurons de quel côté regarder quand, plus tard, on nous parlera des arbres hauts, puissants et droits poussant en la Norambègue.

Les narrateurs sont d’abord impressionnés par l’étendue et la densité des forêts. C’est à cette densité et à cette étendue que l’historien du grand séisme de 1663 attribue la persistance des neiges: iuxta ac propter arborum opacitatem et frequentiam.

Pour Biard, tout le pays de Canada, d’Acadie et de Norambègue n’est qu’une forêt infinie qu’il qualifie de déserts; il répète la même chose plus loin et y voit une explication du froid, car « le sol ne peut être de longtemps échauffé par le soleil, soit pour ce qu’il a la croûte dure, n’étant jamais labouré, soit à cause des arbres, qui l’ombragent perpétuellement.

Nous retrouvons cette explication du froid sous la plume du P. Lejeune en 1633: « Les bois sont malins; ils nourrissent les froids, engendrent les petites gelées ». Le P. Bressani avait-il lu cette explication dans les Relations de ses prédécesseurs, ou bien l’avait-il entendu répéter?

Toujours est-il qu’il la rappelle pour la réfuter: « Si les bois, secs et sans feuilles, comme ils le sont en hiver, pouvaient empêcher le soleil de réchauffer la terre et de tempérer le froid excessif, ils le pourraient bien plus encore en été alors qu’ils sont très ombragés; cependant ils ne le font pas, car il fait alors excessivement chaud même dans les bois, bien qu’il gèle quelquefois la nuit comme en hiver. Je pense donc que la véritable cause est la sécheresse qu’Aristote appelle cos caloris etfrigoris. »

Les Relations attribuent aux forêts une autre propriété. Écoutons le P. Lejeune dans sa Relation de 1633: « Les bois produisent quantité de vermine, comme des sauterelles, des vers, des pucerons qui mangent notamment le jardinage; » même idée dans une lettre à son Provincial : « Voici deux années que tout ce qui est du jardinage a été mangé par la vermine qui provient ou du voisinage des bois ou de ce que la terre n’est pas bien encore exercée et purifiée ni aérée. »

Dans la Relation de 1636, le même auteur écrit encore: « Le voisinage des forêts, et tant de bois pourri, dont les terres se sont comme formées et nourries, nous engendre parfois des vermines qui rongent tout. »

La densité des forêts est constatée partout où vont les missionnaires. « Le P. Druillettes, en 1647, accompagne les sauvages à quatre-vingt ou à cent mille de Québec, dans le pays des ombres, pour ainsi parler, c’est-à-dire dans des montagnes affreuses, et parmi des forêts où le soleil ne regarde jamais la terre qu’à la dérobée. »

Quand le sol est médiocre, la forêt l’est aussi: à la rivière St-Jean, au 46e degré de latitude, beaucoup de sable et de grain; il y a cependant plusieurs noyers et coudriers.

« On ne trouve point autre sorte d’arbres fruitiers en tout ce pays, mais bien toute espèce de sauvageons et forestiers comme chênes, hêtres, charmes, peupliers et des cèdres, au moins ce que les Français appellent cèdres. »

Dans la région des Trois-Rivières, ce sont aussi de vastes forêts; quand les voyageurs partis de l’entrée du golfe St-Laurent y passèrent en juillet 1663, les violents tremblements de terre commencés en février continuaient: « Les grands arbres précipités dans la rivière avec des collines et des montagnes toutes entières roulaient encore effroyablement dans ces eaux, qui les rejetaient sur le rivage avec une étrange confusion.»

« Les célèbres îles Richelieu, qui sont bien au nombre de cent cinquante, sont les unes en prairies, sans aucun arbre que des pruniers, les autres chargées d’arbres et de vignes sauvages; » en 1642, L’Île de Montréal est encore couverte de grands bois.

Une lettre du P. Aulneau, écrite en 1736, nous parle des forêts immenses de la région des grands lacs.

Pour terminer, rappelons la découverte du ginseng. Un missionnaire chinois avait écrit: « S’il s’en trouve quelqu’autre part du monde, ce doit être principalement en Canada, dont les forêts et les montagnes sont assez semblables à celles de la Tartarie. » Là-dessus le P. Lafiteau va sous les grands arbres de la grande forêt au sud du St-Laurent, dans les environs de Caughnawaga; il cherche fiévreusement et trouve. En se représentant ces interminables forêts, l’esprit se demande s’il y avait alors des incendies et ce qu’ils devaient être.

Les missionnaires n’ont pas oublié de nous renseigner sur ce point. En décrivant la sécheresse de 1636, le P. Lejeune nous apprend que tout était si sec et si aride qu’à la moindre étincelle de feu les forêts et les campagnes étaient incontinent embrasées.6 La Relation de 1660 nous donne des détails plus précis. Le narrateur, s’en allant vers la mer du nord, s’arrête dans une région aride, trop pauvre pour nourrir les maringouins: « L’air est ici presque toujours embruni de fumée, que causent les embrasements des forêts circonvoisines, qui s’allumant à quinze et vingt lieues à la ronde tout ensemble, nous ont jeté leurs cendres de plus de dix lieues loin,… » les fumées sont si épaisses « que les plus grandes éclipses de soleil en rendent point l’air, la terre et les herbes plus tristes ni plus sombres ».

La cause est attribuée au fait que les arbres sont surtout des résineux: le soleil échauffant fortement la résine, « si peu que le feu s’y mette, soit par la foudre, soit par la négligence, ou par la malice de quelque sauvage, l’on voit en un moment des tourbillons de flammes qui roulent dans la forêt ».

Le P. de Crépieul écrivait dans son journal, en décembre 1673, de la région du Lac St-Jean: « On y remarque les traces récentes que de cruels incendies
ont laissé dans ces vastes forêts. Les sauvages disent qu’ils se sont étendus jusqu’à plus de deux cents lieues. »

Citons encore la lettre du fort St-Charles par le P. Aulneau, en 1736. Après avoir dit qu’il y a trois cents lieues du lac Supérieur au fort, le Père dit: « Je les ai faits presque toujours au travers des flammes et étouffé par une épaisse fumée qui ne nous a jamais permis de voir une seule fois la lumière du soleil. »

Passons à la période d’intense défrichage et d’exploitation. Les sauvages ont été vaincus ou adoucis; la colonie a grandi.

Trois groupes s’intéressent vivement à la forêt, mais pour des raisons diverses: les trappeurs, les colons et les marchands de bois. Le trappeur aime la forêt; le marchand aime de la forêt le bois qui se vend cher; pour le colon la forêt est le grand adversaire qu’il faut vaincre à tout prix pour vivre.

Les trappeurs sont quantité négligeable; au début, les marchands marquent leurs traces par le gaspillage et le massacre de tout ce qui retarde leur marche dans la recherche des « belles pièces » ; pour le colon, tous les moyens sont bons, hache ou feu:

Le défricheur, ferme, intrépide,
N’a que sa volonté pour loi,
Et son seul intérêt pour guide
Car le défricheur est un roi.

(Benjamin Sulte : Le Défricheur)

La forêt doit reculer et la forêt recule. Plus tard, l’action du marchand de bois sera plus importante: il précédera le défricheur, lui laissant les menus arbres et les broussailles. Colons et marchands s’entraident, tout en recherchant leurs propres intérêts; sous prétexte que les provisions sont inépuisables, ils abattent et brûlent impitoyablement tout ce qui les gêne, sans se douter ou se soucier des conséquences:

Ces hommes sont altiers par le coeur et la taille. Ils aiment l’aventure autant que la bataille. Et leurs pères ont fait un travail surhumain, Le fusil à l’épaule et la hache à la main. (Chapman: Le Radeau).

Habituées à fuir, les forêts ne s’arrêtent plus et laissent bien loin derrière elles les champs et les semences: les chantiers sont quelquefois à plus de cent milles en avant des terres cultivées.

Écoutons un ami des forêts, M. J. Macoun, témoin des dévastations de la dernière moitié du dernier siècle.

« Il semble que le but commun soit d’anéantir les forêts dans le plus bref délai possible, par tous les moyens, légitimes ou illégaux. Dans les plus anciennes provinces on a déjà si bien réussi qu’en nombre d’endroits couverts de forêts ininterrompues, il y a cinquante ans, on rencontre à peine un arbre aujourd’hui… Il y a vingt-cinq ans seulement, le district d’Algoma, sur une distance de plus de 1,000 milles de l’est à l’ouest et de 200 milles du nord au sud, était une forêt compacte de conifères: aujourd’hui c’est la dévastation complète… Sur une distance de 1,200 milles, en allant d’Ottawa vers l’ouest par le Pacifique Canadien, le voyageur traversait jadis une forêt continue: aujourd’hui ce n’est guère qu’un désert de roches nues ou de troncs calcinés parmi lesquels de jeunes plantes essaient de pousser pour cacher la nudité du sol… C’est pendant l’été de 1868 que fut faite la première trouée dans la forêt de Port Arthur; deux ans plus tard, l’expédition de Wolseley se dirigeait vers Winnipeg: le feu fut mis à la forêt de Port Arthur; la dévastation n’a jamais cessé depuis…

C’est un fait connu qu’à l’époque des expéditions de Palliser et Hynde en 1857-59, il y avait au sud de Qu’Appelle des régions couvertes d’épaisses forêts de tremble: vingt-cinq ans plus tard, en 1880, je n’y trouvai pas une brindille prouvant qu’un arbre eût jamais poussé là…

Sur les Rocheuses et les monts Selkirk, des myriades de grands et beaux arbres en 1885; presque tous disparus en 1893… A la même époque, dans la vallée de la rivière Colombia, de Golden à Donald et en amont du crique Beaver et en aval de l’Illecillewaet, à Revelstoke croissait une forêt ininterrompue de robustes arbres; aujourd’hui on ne trouve que quelques débris… L’île Vancouver subit le même sort: quand on voit des arbres puissants, hauts de 200 pieds, brûler comme des torches, on ne peut s’empêcher de maudire la main qui a mis le feu! »Pareil gaspillage nous surprend. Que faisaient les autorités? Une étude de M. Lawler nous permet de suivre à la fois le rôle des législateurs et celui des marchands.

La première réglementation du bois remonte à 1683: elle réserve le chêne pour construire les navires du roi; le reste ne compte pas. On brûle donc à plaisir, si bien que dès 1720 le combustible se faisant rare, dans les centres populeux, on en prend où il en pousse; des lois sévères viennent alors défendre aux habitants de villes et villages de couper du bois de chauffage sur la terre de leur voisin.

Les premières lois forestières des Anglais, après la prise de possession de 1763, eurent aussi pour but de réserver le chêne et le pin pour la marine royale; elles rendirent de plus obligatoires la mise à part et la protection des régions propices au développement de ces arbres. Mais les lois n’empêchèrent personne d’abattre ou de brûler, même le chêne et le pin.

Du reste les marchands exploitaient peu, car les constructeurs de navires anglais préféraient le bois de la Baltique. Ce n’est que pendant les guerres napoléoniennes que le commerce progressa sérieusement. Les marchands de bois jouissaient d’une grande liberté; dans la hâte de livrer le pays à la culture, dans le Haut et le Bas Canada, tous les contrats contenaient d’abord une clause obligeant de couper au moins mille pieds par an; plus tard on se contenta de cinq cents pieds. Si le marché se congestionnait, on brûlait au lieu de vendre. On pouvait se payer pareil luxe, vu qu’il suffisait de verser au gouvernement une somme nominale pour avoir le droit de couper sur d’immenses « limites à bois ». Et puis, la forêt avait beau reculer, on continuait de la proclamer infinie, inépuisable. Il suffit de rappeler les lois actuelles pour s’assurer que les autorités voient clair aujourd’hui. N’est-il pas trop tard?

Lac et forêt. Image de Natalin_s.


This post first appeared on Voyage à Travers Le Québec - Scrapbook De La Civ, please read the originial post: here

Share the post

Forêt québécoise : Période moderne

×

Subscribe to Voyage à Travers Le Québec - Scrapbook De La Civ

Get updates delivered right to your inbox!

Thank you for your subscription

×