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Réhabilitation de Mme de Freneuse

Réhabilitation de Mme de Freneuse et M. de Bonaventure

La scène se passe en Acadie, au début du XVIIIe siècle. Les deux acteurs principaux sont une veuve, Louis d’Amour de Freneuse, un veuve joyeuse semble-t-il et chargée pour surcroît d’une nombreuse famille et Pierre Denis de Bonaventure. Celui-ci est un personnage en vue, briguant, sans y parvenir, le poste de gouverneur. Il a pour lui d’être un valeureux marin et un audacieux corsaire qui lutta avec un héroïsme farouche contre les trop entreprenants anglais. La veuve qui possédait des domaines dans l’Acadie mais qui avait cependant quelques difficultés matérielles à vivre recherchait les bonnes grâces des autorités.

C’était chose facile parce qu’elle était charmante et jolie, en dépit de la grande maturité de son âge à l’époque où se déroute cette histoire. Et cette histoire est bien simple. Dans ce milieu, intervint un personnage farouchement jaloux et envieux qui lui aussi cherchait les plus hautes places : la méthode dont il se servait consistants à faire des rapports tendancieux à Versailles sur la réputation des représentants français en Acadie. L’intérêt de Bonaventure pour Freneuse était un sujet facile pour un homme mal intentionné et celui-ci donna à cet intérêt une importance telle que ce fut, aux yeux du calomniateur, la plus entière intimité.

Pierre Daviault fit de minutieuses recherches et celles-ci s’avèrent favorables à ces deux héros. Leur mémoire semble devoir être respectée entièrement.

Mme de Freneuse et M. de Bonaventure

L’histoire a conservé le souvenir des odieuses calomnies qui ont entaché la mémoire de ces personnages d’un stigmate d’infamie. C’est que les historiens ont accepté, sans y regarder de plus près les racontars d’ennemis de ces personnes. M. Daviault démontra, documents à l’appui, que Mme de Freneuse et M. de Bonaventure n’ont jamais sombré dans le commerce crapuleux qu’on leur prête.

Mme de Freneuse venait de perdre son mari, tué dans une attaque des Anglais contre le fort de Naxouat, en Acadie. Chargée d’une nombreuse famille, elle avait en outre pris à sa charge les deux fillettes de sa sœurs morte récemment pendant la longue captivité dans Boston de son mari, M. des Chauffours, frère de feu M. de Freneuse. Les Anglais avaient, au surplus, brûlé la maison et les granges de Mme de Freneuse. Sans ressources, elle s’en alla à Port-Royal demander des secours au gouvernements. Secours qui n’auraient pas été l’aumône, puisque son mari et son beau-frère avaient succombé au service du pays. Très belle et douée d’un charme prenant comme en font foi certains témoignages, elle avait au surplus tout intérêt à se montrer aimable envers le gouverneur et son entourage immédiat.

Or, dans cet entourage, se trouvait M. de Bonaventure qui, par principe, soutenait toujours le gouverneur, originalité dans un état-major extrêmement divisé, même en face de l’ennemi. Que Mé de Bonaventure, marin et corsaire, se soit intéressé à la veuve d’un compagnon d’armes, on n’en saurait douter. Qu’il y eut quelques coquetteries entre eux, c’est même possible. Au-delà, tout indique qu’il n’y eut rien du tout.

La calomnie se fit d’abord jour dans la dénonciation d’un factieux chassé de Port-Royal. Elle fit reprise, avec une grande habilité, par le dénonciateur officiel des gens en place, c’est-à-dire un certain Mathieu des Gouttins, procureur général, qui s’était élevé des places tout à fait inférieures grâce à ses intrigues. Gouttins, dont la particule nobiliaire était bien suspecte, inventait des détails circonstanciés qui sont de nature à troubler les mieux intentionnés.

Le père LeJeune s’y est laissé tromper dans son « Dictionnaire général du Canada ». Mais Gouttins, extrêmement habile, a toujours soin d’indiquer que les scènes racontées se sont passées sans témoin, qu’il est impossible de trouver une corroboration. Il supplie qu’on le croie sur parole : ce n’est rien moins que sûr. Il invente des scènes odieuses, des naissances équivoques suivies d’enlèvements mystérieux, des disparitions d’enfants et des morts désespérées, bref des mélos bien composés mais où paraissent trop les ficelles du mensonge.

L’évêque de Québec et certains missionnaires, impressionnés par ces récits, que répandaient des amis de Gouttins, mécontents de Bonaventure et du gouverneur, s’adressèrent au ministre, lui demandant de rappeler Mme de Freneuse. Mais ils reconnurent leur erreur par la suite et ils eurent bien soin de ne plus mêler de cette affaire : un missionnaire même avoua qu’il s’était bel et bien trompé.

Bonaventure était englobé dans la haine qui souleva en certains quartiers le gouverneur appelé en Acadie en 1703, M. de Brouillan, cadet de Gascogne au caractère entier. Pour atteindre Brouillan, Gouttins le mêlait à une histoire crapuleuse où M. de Bonaventure eut sa part.

Celui-ci se défendit en termes d’une grande noblesse, qui démontrent à eux seuls son innocence. Il offrait de faire venir sa femme, que le ministre retenait en France à cause des dangers du voyage; il offrait même de payer de ses deniers des enquêteurs qui auraient fait bonne justice de ses calomniateurs. Enfin, loin de se retrancher derrière une indifférence apparente à l’égard de Mme de Freneuse, il prenait nettement la défense de cette dernière, demandant qu’on la laisse à Port-Royal, car elle n’aurait pu vivre ailleurs et offrant de s’en aller lui-même. Brouillan et M. de Subercase qui lui succéda au gouvernement firent la lumière sur ces incidents et ils exonérèrent entièrement Bonaventure.

Celui-ci assura l’intérim du commandement, entre la mort de Brouillan et l’arrivée de Subercase. Il eut alors l’habileté de se concilier M. des Gouttins qui, sans tout à fait nier ses anciens racontars, s’efforça d’en amortir l’effet et défendit Bonaventure contre les calomniateurs attardés.

Pendant plus de six ans, la correspondance des gouverneurs et du ministre fut encombrée de cette affaire ridicule, qui prit des aspects de tragédie. À cause de tous ces potins, en effet, M. de Bonaventure ne fut pas confirmé dans la permanence de la succession de M. de Brouillan. Sa carrière en fut ainsi brisée, et le roi lui-même, après quelque temps, en exprima le regret, notant que les dénonciations s’inspiraient « de la passion » et non de la vérité.

Ce fut tragique surtout pour l’Acadie, qui était alors aux prises avec les Anglais aux mains desquels elle devait succomber en 1710 (il s’agit évidemment de la « grande » Acadie), précisément à la fin de l’histoire fameuse. Cette malheureuse colonie dansait alors sur un volcan et son état-major se déchirait en des querelles stupides. M. de Subercase, son dernier gouverneur, était plongé dans le désespoir ne voyant pas d’où pourrait venir le salut et, néanmoins, devait trouver le temps et l’énergie de défendre âprement son meilleur lieutenant. C’est par là que ce récit prend un sens général et touche à la grande histoire.

Quant à Mme de Freneuse, réfugiée à Québec, elle rentra à Port-Royal, devenu Annapolis-Royal, en 1711, avec la permission du gouverneur de la Nouvelle-France, afin de sauver si possible les terres qui lui restaient et qui se trouvaient aux mains des Anglais. Elle y charma le gouverneur anglais, sir Charles Hobby, qui la retint le plus qu’il le put ; mais souleva la méfiance de Paul Mascarène, huguenot français passé au service de l’étranger à la révocation de l’édit de Nantes, devenu « agent de liaison » entre le gouvernement anglais de l’Acadie et la population française.

Ainsi passa « la belle Française » dont la triomphante maturité créait des fureurs depuis 7 ou 8 ans, de Port-Royal à Québec et à Versailles. Involontairement, elle semait le drame autour d’elle. M. de Bonaventure, pour l’avoir approchée, avait vu briser une carrière qui promettait beaucoup. Et, dans l’Acadie aux abois, dans la colonie agonisante, le nom de la tragique veuve dominait le tonnerre des canons.

(Par Pierre Daviault, membre de la Société Royale du Canada et traducteur à la Chambre des communes, à la Société d’étude et de conférences, un historien qui s’est spécialisé dans l’histoire canadiennes. Il a orienté ses recherches sur les événements qui ont marqué la conquête anglaise et la résistance des français. Au cours de ses études, il s’est attaché à certaines figures et il a dédié ses efforts à sauver la mémoire des personnalités illustres, notamment Madame de Freneuse et Monsieur de Bonaventure que des historiens ont trop sommairement et injustement condamnés).

La lumière dans la nuit. Photo de GrandQuébec.com.


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