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La Chasse aux Dinosaures

La Chasse aux Dinosaures

(extrait du roman Le visage dans l’abîme, par Abraham Merritt (the Face in the Abyss, traduction de Paul Chwat, 1931)

Une brutale bourrasque agita les arbres. Le vent apporta avec lui un concert de sifflements, plus proches et plus stridents.

Une chose rouge vif jaillit d’entre les arbres qui, à cet endroit, n’étaient éloignés que de quelques centaines de mètres. Cela détala à travers la plaine pour atteindre le pied d’un des monolithes. Cela escalada son flanc jusqu’au faîte. Puis, cela s’arrêta, paraissant scruter la forêt d’où cela était sorti. Graydon eut l’impression d’un immense insecte, mais il éprouva également une incroyable et monstrueuse idée d’humanité.

La chose écarlate dévala le monolithe et, à travers les herbes, se précipita dans sa direction. De la forêt s’élança ce qu’il prit, à première vue, pour une muette d’énormes chiens de chasse, puis il comprit que ce pouvait être n’importe quoi, sauf des chiens. Ils avançaient par bondes, comme des kangourous et, en sautant, ils avaient des reflets bleus et verts dans le soleil, comme s’ils portaient une armure de mailles faite d’émeraudes et de saphir et jamais chiens aboyaient comme ils le faisaient. C’était d’eux que provenait le sifflement d’en fait.

La chose écarlate fila à droite, à gauche frénétiquement, puis s’accroupi aux pieds d’un autre monolithe, immobile.

Des arbres émergeaient une autre forme monstrueuse. Comme les créateurs en chasse, elle étincelait, mais comme si son corps était enfermé dans un coffre de jade poli. Elle avait la taille d’un cheval, de traits géants. Son cou était long et reptilien. Sur l’encolure, en homme se tenait à califourchon.

Avec précautions, Graydon prit ses jumelles et les braqua sur la muette. Juste dans le champ de vision, une de ces créatures était venue s’offrir à son regard. Elle se tenait droite, le flanc de son côté, à l’arrêt comme un chien de chasse.

C’était un dinosaure !

Ramené à la taille d’un grand chien danois, mais il n’y avait pourtant pas d’erreur possible. Et ce qu’il avait pris pour des mailles de saphir et d’émeraudes étaient les écailles. Elle chevauchait comme celles de l’armadillo (tatou). En jouant sur les surfaces et leurs bords polis, le soleil leur donnait l’éclat de pierres précieuses.

La créature fit pivoter sa tête sur son petit cou de taureau. Elle paraissait diriger son regard droit sur Graydon. Il aperçut des yeux rouges, féroces, dans l’arc osseux que formait un large front.

Sa gueule était celle du crocodile, mais plus petite et aplatie. Les mâchoires étaient garnis de crocs jaunes et attirés.

Le cavalier arriva à sa hauteur. Comme les autres, la créature qu’il chevauchait était un authentique dinosaure, mais celui-là avait la taille géante de ces monstres. Il avait des écailles noires, une queue plus longue, et un cou de serpent plus gros que l’anneau central du python géant.

Le cavalier appartenait à la même race que Suarra. La peau avait la même blancheur éburnéenne, ses traits la même régularité ultraclassique. Mais son visage portait la marque de l’arrogance et de la froide cruauté. Il portait un vêtement vert qui collait au corps comme le gant à la main, sa chevelure était d’or étincelant. Il était assis sur une selle légère à la base du long cou de sa monture.

De grosses rênes montaient jusqu’aux mâchoires de la petite tête serpentine, couleur de jais, du dinosaure.

Les jumelles de Graydon échappèrent à sa main tremblante. Quel genre d’homme était-ce que celui qui chassait avec des dinosaures en guise de chiens et un dinosaure pour monture ?

Il dirigea son regard sur le monolithe au pied duquel s’était recroquevillée la chose écarlate. Elle n’y était plus.

À moins de trois cents mètres, il aperçut un éclat de rouge à travers les hautes herbes. La chose s’enfuyait en direction de la berge de la crevasse.

Une clameur déchirante s’éleva – on eût dit d’un millier de chuintantes fumerolles. La meute avait trouvé la piste et déferlait comme une lame de fond étincelante.

La chose écarlate bondit hors des herbes. Elle se déplaçait en tanguant sur quatre longues pattes en forme d’échasses, la tête à près de quatre mètres au-dessus du sol. Posé sur ses pattes-échasses. Un corps presque rond et pas plus gros que celui d’un garçon parvenu au milieu de sa croissance. De part et d’autre du corps s’étendaient deux bras vigoureux – des bras humaines que l’on aurait tendus jusqu’à ce qu’ils atteignent le double de leur taille normale. Corps, bras et jambes étaient recouverts d’un joli pelage écarlate. Sa gueule, tournée vers ses poursuivants, Graydon ne put la voir.

La meute s’élançait à ses trousses. La chose se précipitait, tel un éclair, droit vers la berge.

Graydon entendit, derrière lui, un bruit de rochers que l’on griffe dans une frénétique tentative de les escalader. Des mains grises apparurent en bordure de la route, agrippant la pierre avec des doigts longs de trente centimètres faisant penser à des aiguilles d’os épointées. Elles s’accrochèrent et progressèrent. Suivirent des bras grêles, aux poils écarlates.

Par-dessus le bord se montra une face, aussi grise que les mains. Au milieu, il y avait deux grands yeux ronds, dorés et immobiles.

Un visage humain – et pas humain !

Un visage tel qu’il n’en avait jamais vu à une créature vivante… pourtant, l’humanité de celui-ci ne faisait aucun doute… l’humanité qui recouvrait comme un voile l’invraisemblable face.

Il crut voir un baton rouge jaillir de l’air et atteindre le visage – le bâton rouge du bouffon escortant Suarra. Qu’il l’ait réellement vu ou pas, les griffes lâchèrent leur étreinte et régressèrent. La figure grise disparut.

De versant invisible, s’éleva une lamentation aiguë, désespérée, suivie d’un sifflement de triomphe. Puis, à portée de sa vue, apparut le dinosaure noir, son cavalier à chevelure dorée criant à tue-tête. Derrière lui bondissait la meute. Ils traversèrent la plaine comme un nuage d’orage pris en chasse par des éclairs émeraude et saphir. Ils pénétrèrent dans la forêt et s’effacèrent aux regards.

Une clameur déchirante s’éleva… c’était un gros dinosaure. Illustration : Megan Jorgensen.

Le Visage dans l’abîme

Il se rappela ce que, lors de leur première, elle lui avait raconté des pouvoirs de ces mystérieux Yu-Atlanchi. Voulait-elle dire que son peuple avait maîtrisé les secrets de l’évolution de façon si parfaite qu’ils avaient appris également à en inverser le cours ? Qu’ils étaient à même de contrôler … dégénérescence !

Dans le fond, pourquoi pas ? Dans sa longue ascension depuis le magma primitif des plages basses des premières mers chaudes, l’homme avait revêtu des myriades de formes. Et, en s’élevant d’une forme à l’autre, se transformant en vertébré, remplaçant le sang froid par le sang chaud, il ne demeurait pas moins de la même famille que le poisson qu’il attrape aujourd’hui, que les créatures velues dont la fourrure couvre ses femmes, que les singes qu’il ramène de la jungle pour en faire des objets d’étude ou de distraction. Il n’est pas jusqu’aux araignées tissant leurs toiles dans les jardins, jusqu’au scorpion qui décampe au bruit de ses pas, qui ne soient ses frères de sang abyssalement lointains.

Lorsque saint François d’Assise parlait de sa sœur la mouche, de son frère le loup, de son frère serpent, il exprimait une vérité scientifique.

Toute la vie sur la Terre a une origine commune. Aujourd’hui différents, multiformes tel Protée, il n’en reste pas moins que l’homme et le tigre, le poisson et le serpent, le lézard et l’oiseau, la fourmi et l’abeille, tous proviennent de ces gouttes jadis similaires de gelée, errant il y a des millions et des millions d’années sur les littorales peu profonds des premières mers. Le protaebion, c’est ainsi que Gregory d’Édimbourg baptisa la première matière vivante à partir de laquelle se développa toute vie. Les germes qu’avaient revêtues l’homme au cours de sa lente ascension sommeillaient-ils encore en lui ?

Roux, le grand savant, avait pris des œufs de grenouille et, en agissant sur eux, avait fabriqué des grenouilles géantes et des naines, des grenouilles à deux têtes et un corps, des grenouilles avec une tête et huit pattes, des grenouilles à trois têtes avec autant de pattes qu’un myriapode. Et, à partir de ces œufs, il avait aussi fabriqué des êtres qui ne ressemblaient en rien à des grenouilles.

Le Russe Vornikoff et l’Allemand Schwartz avaient fait des expériences des formes de vie encore plus évoluées, produisant des chimères , êtres de cauchemar qu’ils avaient été obligés de tuer – et rapidement.

Si Roux et d’autres avaient réalisé tout cela – et ils l’avaient réalisé, Graydon le savait – n’était-il pas possible que des savants plus avancés aient réussi à réveiller les germes sommeillant chez l’homme et à créer également des créatures comme la chose écarlate ? Un homme-araignée !

C’est dans la nature même qu’ils en avaient puisé l’idée. De temps à autre, la nature produisait des anomalies, des monstres humains portant extérieurement, sinon intérieurement, le stigmate de la bête sauvage, du poisson, voire de crustacé. Des bébés avec des ouïes dans la gorge ; des bébés avec une queue ; des bébés à fourrure. L’embryon humain est passé par tous ces stades, à partir de l’unique cellule protoplasmique, résumant le drame multiséculaire de l’évolution en moins d’une année.

Ne serait-il donc pas possible qu’il existât en Yu-Atlanchi des gens pour lesquels le creuset de la naissance n’eût plus de secrets ; des gens capables de donner la forme de leur choix à l’espèce humaine ?

Un métier à tisser est une machine morte que les doigts animent plus ou moins maladroitement. L’araignée est tout à la fois la machine et l’artisan, filant et tissant avec plus de sûreté et d’art que ne le peut faire un mécanisme sans vie manœuvré par l’homme. Quelle est la machine de fabrication humaine ayant jamais atteint – ou même approché – la délicatesse et la beauté d’une toile d’araignée ?

Graydon eut brusquement la vision de tout un monde nouveau, effroyablement grotesque – des hommes araignées et des femmes-araignées disséminés sur de gigantesques toiles et tissant avec des doigts-aiguilles de merveilleux tissus, des hommes-taupes et des femmes taupes creusant, ouvrant des labyrinthes de passages souterrains, cloaques à l’intention de ceux qui les avaient conçus ; un peuple d’amphibiens s’affairant dans les eaux – une humanité fantasmagorique, monstrueusement appariée à l’organisation parfaite de la nature, encore que la matrice en demeure plastique.

Agité d’un frisson, il rejeta cette vision de cauchemar.

Vaincre la mort

Le peuple ancien. Le plus ancien. Il y a des siècles et des siècles, il est venu du sud où il avait vécu tranquille au cours d’autres siècles. Un jour, la terre se mit à trembler et à vaciller. C’est alors que survinrent le grand froid et les ténèbres, et les tempêtes glacées. Et une grande partie de mon peuple périt. Le restant de la population s’embarqua sur des bateaux pour se rendre au nord, emmenant avec elle les vestiges du peuple serpent qui lui avait enseigné l’essentiel de son savoir. Et la Mère est la dernière représentante de ce peuple.

« Les gens étaient venu s’installer là. À cette époque, la mer était proche et les montagnes n’étaient pas encore nées. Ils découvrirent que des hordes de Xinlis occupaient leur territoire. Ils étaient grands, bien plus grands que ceux de maintenant. Les gens de ma race détruisirent la plupart d’entre eux et élevèrent et dressèrent pour leur propre usage ceux qu’ils avaient épargnés. Et pendant une ère, ils vécurent ici comme ils vécu dans le sud, où leurs maisons étaient maintenant enfouies sous des montagnes de glace. »

« Puis il y eut des tremblements de terre et les montagnes commencèrent à se dresser. La science de ces gens n’était pas assez forte pour qu’ils puissent empêcher les montagnes de naître, mais ils pouvaient contrôler leur croissance autour de ville. Lentement, régulièrement, au cours de notre ère. Les montagnes gagnèrent en hauteur. Et, finalement, elles ceignirent Yu-Atlanchi comme un vaste mur, un mur qu’il était impossible de franchir. Mais mon peuple, s’en moquait ; en réalité en s’en réjouissait, parce qu’à cette époque, les Seigneurs et la Mère avaient fermé la porte de la mort. Et mon peuple ne se souciait plus de se rendre dans le monde extérieur. Et c’est ainsi qu’il vécut pendant d’autres siècles encore.

Elle redevint muette, songeuse. Grayndon la regardait, luttant pour dissimuler son incrédulité. Un peuple qui avait vaincu la mort ! Comment croire en cela ? Un peuple si vieux que ses antiques cités étaient recouvertes par les glaces de l’Antarctique ! Cela, à la rigueur, c’était possible. Il est certain que le continent antarctique avait jadis bénéficié des rayons d’un chaud soleil. La preuve en était donnée par les fossiles de palmiers d’autres végétaux tropicaux qu’on y avait trouvés. Il est certain que ce qu’on appelle aujourd’hui les pôles ne l’ont pas toujours été. Que le changement soit intervenu à la suite d’une brusque inclination de l’axe de la terre, ou par un rajustement progressif, c’est un point sur lequel les scientifiques ne sont pas d’accord. Mais quoi qu’il se soit produit, cela a dû se passer il y a au moins un million d’années. Si l’histoire de Suarra est vraie, si elle ne se fait uniquement l’écho d’un mythe, l’origine de l’homme remonte à des temps incroyablement reculés.

Et pourtant… il se pourrait… les mystères ne manquent pas… des légendes de territoires disparus et de civilisations oubliées qui doivent trouver quelque fondement dans la réalité… la Terre Mère de Mu, l’Atlantide, la race inconnu qui régna sur l’Asie, venu de Gobi, alors que ce sinistre désert était un vert paradis… oui, c’était possible. Mais que ce peuple ait vaincu la mort ? Non ! Ça, il ne pouvait pas le croire.



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