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Le médecin de Noël

Le médecin de Noël

Les complaisances de l’estomac

L’estomac est presque sans contredit l’organe le plus débonnaire de l’économie animale, et partant celui auquel la calominie s’attaque Avec le plus d’acharnement. Il est rassurant de se le rappeler à la veille des diners de Noël. Qu’un gourmand, au sortir de table, ressente l’approche des conséquences oridinaries d’une ingestion trop abondante et trop précipitée d’aliments à la séduction desquels il n’a pu résister, c’est à son estomac qu’il s’en prend aussitôt; il l’accuse de tous les vices imaginables, et verse des pleurs sur la triste condition qui lui impose un si « mauvais estomac. »

Ce gourmand dit une bêtise. Parfois, sans s’en douter, on peut s’indigérer de bonne foi, et toute une école de physiologistes – dont les docytrines sont à veau-l’eau, ou peu s’en faut – a si longtemps poursuivi de ses accusations l’infortuné viscère, qu’un simple particulier, dont ces doctrines font justement l’affaire, est bien pardonnable de les accepter comme articles de foi.

La complaisance inépuisable de l’estomac est démontrée par sa contexture même, et aussi par ses actes. Étant membraneux, il s’étend et se resserre Avec Une facilité digne de louanges, et à laquelle le voisinage incommode de la rate et du foie met seul des bornes – trop étroites, sans doute, au gré de quelques-uns. Quant à ses actes, on peut tous les jours, et même plusierus fois par jour, les juger. Le seul acte d’opposition, dont il se soit jamais rendu coupable, c’est de se décharger lui-même, et par la seule voie restée libre, de l’excédant de nourriture ingérée, quand le pylore se trouve obstrué ou que l’intestin, de nature paresseuse, ne travaille pas avec une énergie en rapport avec celle des mâchoirs. Mais cette disposition de l’estomac à déborder comme un vase trop plein, il y a des gens qui savent la mettre à profit, sans douter que le syrinaïsme volontaire est d’origine romaine.

Je ne m’étendrai pas sur un détail pareil; mais je demande la permission de rappeler que, pour bon nombre de gloutons héroïques, c’était un moyen des plus misérables. Ou passait tout ce qu’absorbait leur estomac, et de quel métal étaient forgés leurs intestins? Ce serait un point intéressant à éclaircir – mais qui ne le sera pas.

Par exemple, voici Mion le Crotoniate, pour ne pas remonter plus haut, qui accomplit dans l’espace de quelques minutes une série de tours de force à donner la chair de poule. Il traverse le stade d’Olympe, c’est-à-dire une distance de 185 mètres, avec une bœuf sur les épaules; parvenu au terme de la carrière, à la « funda », il dépose tranquillement son fardeau, l’assomme d’un coup de poing et déjeûne avec! C’est un beau trait, à coup sûr, mais ce n’est rien poyrtant en comparaison du travail exigé pour la digestion d’un tel plat, et précisement l’histoire est muette là-dessus.

Au reste l’athlète Buthus, qui vivait au troisième siècle, mangeait, lui aussi, un bœuf dans un repas, et l’arrosait du contenu d’une outre de vin faite de la peau de l’animal. Le comédien Phagon (pour ne pas quitter l’antiquité classique), mangea un jour, en présence d’Aurélien, un sanglier, un cochon de lait et cent pains ronds et but vingt-quatre amphores de vin. Claudius Albinus, empereur de son métier, dévorait à son repas, trente-trois douzaines d’huîtres, cent becfigues, dix melons, cent pêches et vingt livres de raisin. C’était presque un végétarien!

J’ai moi-même connu un pauvre diable de soldat, dont la voracité mérite une mention particulière. Il s’appelait Donze, était Bas-Breton. A l’heure de la soupe, Donze vidait sa gamelle en deux lampées, puis, cet exercice préliminaire achevé, faisait le tour des chambres, ramassant sur son chemin les gargelles incomplètement vidées et les léchant les unes après les autres, comme un pauvre chien affamé. Un jour, un s’arrangea pour que Donze eut à lui seul une de ces imposantes soupières qu’on appelle gamelle de campement, avec ses huit à dix litres de bouillon et ses huit portions de viande. Le tout disparut en peu de temps, et le sacrifice consommé, on put voir notre Bas-Breton procédant à son inspection habituelle des fonds de gamelle du régiment.

Il m’est impossible de préciser la quantité de nourriture que pouvaity absorber ce malheureux. Mais une chose que je puis dire, c’est que je ne l’ai jamais vu rassassié.

Nestor.

(Le Canada, vendredi 24 décembre 1920)

Un restaurant du début du XXe siècle. Photo : GrandQuebec.com



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