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Je vous baise

En Tunisie, il paraît que deux adolescents ont écopé de deux mois de prison pour s’être embrassés dans la rue, en public. « Il paraît » parce que jusque-là aucun détail, autre que la sanction, n’a été révélé concernant cette affaire. Ce qui peut sérieusement faire douter de la véracité des faits reportés.

Mais il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux s’embrasent. Les Tunisiens, libertaires endurcis, ont immédiatement embrassé la cause du baiser. « Free-kiss », « het’ chiffa », « mwah », « boussa »… à la lumière des scandales qui ont récemment visé le gendre de l’Ayatollah Ghannouchi, quand la classe gouvernante nous prive de tout et ne se refuse rien, cette nouvelle, qu’elle soit vraie ou fausse d’ailleurs, exacerbe le sentiment d’injustice. Instantanément, les appels à manifester ont pullulé. Comment peut-on, d’une part, faire de l'organisation des mariages collectifs un argument de vente et appâter par la promesse de l'instauration de la polygamie, et d'autre part, criminaliser la plus banale démonstration d'affection ? Par protestation, par rébellion, beaucoup ont alors promis de se réunir pour s'embrasser publiquement. Ni dieu ni maître ? La liberté ou la mort ? Pensez-vous ! Les frondeurs en puissance étant pour la plus grande part des ménagères lambda en règle avec la société, rien n'est à craindre.
 
Quel rapport ? Associer amour et mariage est, au mieux, de la mauvaise foi, au pire, de la naïveté imbécile. Les violences conjugales sont "des choses qui arrivent" ; l'amour hors mariage, illicite, qui ne s'est pas soumis au consentement et à la validation de la communauté, lui, est absolument prohibé. Les couples qui comparaissent devant les tribunaux pour avoir porté atteinte aux bonnes mœurs ou quelqu'autre accusation qui vise à suppléer au vide juridique qui entoure la question du concubinage, ne sont pas accusés d'entretenir des relations physiques, mais de ne pas être mariés. On leur laisse d'ailleurs une porte de sortie : se marier, de force donc, pour échapper à une condamnation certaine. Et que dire de ces arrangements à l'amiable en cas de viol, où le violeur pour laver l'affront, et accessoirement être relaxé, se voit offrir la possibilité d'épouser sa victime ? Devons-nous là faire breveter cette découverte révolutionnaire qui permet de transformer miraculeusement un crime haineux en un amour cristallin ?
 
Pour étayer ce propos, faisons un saut outre-méditerranée. La France est, en ce moment, secouée par un débat houleux sur la question du mariage gay et de l’homoparentalité. En schématisant : il y a d'un côté les Contre, qui estiment qu'ouvrir le mariage aux couples homosexuels mettra en péril la société, et de l'autre les Pour, qui pensent, au contraire, que ces mesures n'auront pas de réelle incidence et ne représentent donc aucune menace.
 
Quel est le fond du débat ici ? Est-ce l'amour ? Personne ne nie aux homosexuels le droit de s'aimer. Dans ce pays où l’homosexualité est communément admise et où les actes d’homophobie sont même punis par la loi, il ne s'agit pas de remettre en cause les sentiments que peuvent partager deux personnes de même sexe. Il ne s'agit pas d'interdire, ou d'autoriser, les homosexuels à s'aimer, à avoir des rapports sexuels, ou même à vivre en couple. Dans ce débat, il est question de décider si, oui ou non, la communauté souhaite accorder sa bénédiction à une union homosexuelle. Et pour les homosexuels, ces revendications visent une reconnaissance pleine et entière de la part de la société. Accéder au mariage serait un gage indéfectible d'appartenance.
 
Concernant l'homoparentalité, c'est la reconnaissance de la filiation qui, au-delà du débat autour des éventuelles répercussions de l'adoption ou des procréations médicalement assistées (PMA) sur les enfants, est soumise à examen. Les arguments sont, certes, déguisés en crainte pour l'avenir de cette progéniture monstrueuse. Mais si telle était la véritable préoccupation, pourquoi n'y a-t-il pas débat pour décider s'il faut éventuellement interdire aux alcooliques, aux drogués et aux criminels de procréer ? Ceux-ci offrent-il un giron plus sûr et plus affectueux qu'un couple homosexuel ? La crainte porte plutôt sur l'effondrement d'un certain modèle de la famille, avec le Père comme garant de l'autorité et de l'ordre, et donc un chamboulement du modèle patriarcal encore aujourd'hui prédominant. Il s'agit de savoir si, oui ou non, la société accepte d'assimiler les individus issus de ces unions hors norme et de les reconnaître comme citoyens.

Revenons-on aux Tunisiennes et  aux Tunisiens qui se sont indignés de la condamnation d'un simple baisé, au point de ne même pas attendre que les faits soient vérifiés et authentifiés avant de riposter en organisant moult manifestations. Quel mode de vie ont-ils adopté dans leur quotidien, eux les libertaires endurcis ? Se sont-ils affranchis des carcans des convenances ? Ou sont-ils passés par les mêmes sentiers battus que leurs aïeux, celui-là même qu'ils espèrent voir leur descendance emprunter un jour ? Dans cette société désespérément homogène, au point que dévier de la norme, même dans les aspects les plus privés de la vie, est un crime, quelle est votre contribution, vous, qui vous êtes offusqués, pour faire reculer les barrières ? Comment combattez-vous au quotidien l'ordre établi ? Les grands discours et les petites phrases ne sont rien, si on ne joint jamais aucun acte à la parole. Travestir la réalité ne suffit pas à s'en écarter. Confondre le mariage et le sentiment amoureux ne change en rien le fait que l'on n'ose aucune vie de couple, pleinement émancipée, en dehors des institutions licites. On peut parler de choix, certes, mais quelle est la valeur d'un choix lorsqu'aucune alternative n'est possible ?
 
Le mariage, quoi qu'en disent les fictions à l'eau de rose dont on bourre le crâne des enfants, surtout des fillettes, dès la naissance, n'est autre qu'une soumission aux codes établis par le plus grand nombre pour ne pas s'en retrouver banni. C'est une institution totalitaire. Celle-ci a beau être parée des attributs de fête, d'amour, de félicité et d'accomplissement personnel, elle n'en est pas moins une dictature. Alors quand on y adhère comme idéal absolu, quand, de génération en génération on contribue à en faire le lit de sorte que, jusque dans la loi, aucun autre choix de vie ne soit jamais rendu possible, on peut au moins avoir la correction de la cohérence et ne pas s'indigner des conséquences.

Oui s'aimer en Tunisie est tabou. S'aimer est un crime parce que votre plus grande peur est de vous retrouver un jour expulsés hors du troupeau qui vous a vu, non pas naître, mais "clonés". Vous n'êtes pas un ensemble d'individus mais une masse indifférenciée. Vous êtes mais vous n'existez pas. Vous vous accouplez, vous n'aimez pas. Vous l'avez accepté, alors assumez. Et ceux qui ont choisi de vivre, de loin vous regardent et vous baisent.




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