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Retour en France II

Je commence à avoir assez de recul pour vous parler de mes sensations suite à ce retour en France.

Cela va peut-être vous étonner mais le sentiment qui prédomine, c'est le soulagement. Quoi? Moi qui parle toujours de Seattle avec un amour profond, je suis soulagé d'être rentré en France?

Et bien oui, je respire enfin. Je crois que l'expatriation était quelque chose de très très dur et pour pas mal de raisons je me mentais sur mon propre état de bonheur au cours de cette expérience. C'était une expérience géniale, attention, et il n'est pas exclu que je reparte un jour autre part (moins loin, probablement). Et j'adore Seattle! Mais l'expatriation, surtout aussi loin et aux US, n'est pas, n'est plus une vie qui me convient. C'est paradoxal et il faut bien que vous compreniez que deux sentiments coexistent en moi et que toute la subtilité consiste à arriver à comprendre lequel est le plus fort.

Vous savez, quand Celia et moi sommes arrivés à Seattle, nous avons eu des réactions très différente. Elle a détesté d'emblée: le rapport entre les gens trop superficiel, la nourriture immonde, l'hypocrisie latente sur des sujets comme l'alcool, l'absence de convivialité... En revanche, elle supportait bien le fait d'être loin, aimant l'aventure.

Moi c'était l'inverse: ayant déjà vécu aux US, je retrouvais un vieil ami en quelque sorte, et je me suis tout de suite plu. Toutes les expériences me fascinaient et la vie française ne me manquait absolument pas. J'avais par contre beaucoup de mal à me faire à l'idée que je ne verrais pas grandir les enfants de mes amis, qu'il y avait un risque que mes grand-parents meurent en notre absence etc. Ce qui est arrivé, pour chacun d'entre nous, malheureusement.

Précisons que nos impressions ont changé considérablement au cours de ces 5 ans et que Celia ne déteste plus Seattle, bien évidement, sinon nous ne serions pas resté si longtemps, cela illustre juste le choc culturel dont je vais parler plus loin.

Il y a quelques mois, j'étais terrorisé de retourner en France. Peur de retrouver les défauts supposés de la France, peur de retourner dans le béton de Paris... Mais aussi une peur bien plus  insidieuse : la peur de la fin de l'expatriation, de la fin de l'aventure, de la fin du rêve. Car c'est un peu un rêve, une aventure, une vie moins ordinaire que d'être expat, et on s'accroche et on devient fier de ce sentiment de vivre quelque chose d'exceptionnel au quotidien, de vivre à l'étranger, de voyager. Sans se rendre compte qu'en fait, on bosse toute la journée, on rentre épuisé, on n'a presque pas de vacances alors on les passe en France voir la famille, du coup on ne voyage en fait pas du tout...

Si j'étais resté en France pendant ces 5 ans, je serais allé au minimum une fois par an dans un pays étranger, avec en tête de liste Norvège, Turquie, Australie, Nouvelle Zélande (je sais, j'ai la chance de pouvoir faire cela). Au final, en 5 ans, nous sommes allé 3 fois à Portland, une fois à San Francisco et 3 fois à Vancouver, à chaque fois juste quelque jours. Tous les autres voyages, nous sommes rentré en France. Conclusion, en fait de vie de voyage et de vie moins ordinaire, c'était surtout une vie stressante, épuisante et avec des contraintes incroyables.

C'est difficile de s'en rendre compte, de se rendre compte que la vie dans un pays ou une ville ne nous convient pas. Comme on est constamment déstabilisé par la nouveauté, par l'exotisme, on ignore souvent des signaux importants. Par exemple, j'ai toujours dit que Seattle était une ville magnifique et que la nature était absolument incroyable et que je ne pourrais plus vivre ailleurs... Sauf que lorsque nous sommes allé en 2010 à San Francisco, une ville avec un vrai centre urbain un peu similaire à Paris en terme de densité de choses à faire, j'ai eu l'impression de revivre. Mais vraiment quoi, j'ai eu l'impression de revivre, de me retrouver, de me ressourcer. Oui, la nature me coupe le souffle, mais en fait au jour le jour, j'aime la ville, j'aime descendre au bar en bas de chez moi prendre un (vrai) café et discuter avec mes voisins, j'aime me balader sans fin dans une grande ville... Et cela m'avait manqué, la vie dans une ville très décentralisée comme Seattle étant très différente (et encore, ce n'est pas L.A).

Car il y a un autre facteur important: l'adaptation culturelle. Et là encore, j'ai eu beaucoup de mal. Je me rappelle très clairement, il y a quelques années, nous avions reçu une jeune française qui bossait à Vancouver mais qui passait à Seattle. Lors du dîner, je me suis senti plus proche d'elle que de mes meilleurs amis américains, et j'en ai fait la remarque à Celia alors que nous rentrions chez nous: j'avais l'impression de la connaître depuis des années alors que je galérais vraiment pour arriver à tisser des liens avec mes collègues. Il faut remarquer aussi que c'est un problème spécifique à Seattle qui est bien connu (le "Seattle Freeze"). Des américains venant à Seattle ont le même problème et galèrent à se faire des amis, il y a vraiment un truc spécifique à cette ville. Les gens sont sympas, vous discutez en soirée, et on ne vous rappelle jamais. J'en reparlerais.

J'en parlais hier soir avec une amie anglaise expatriée à Paris, qui comprend assez bien de quoi je parle: il y a vraiment une culture européenne, un mode de pensée qui se ressemble, même pour les anglais qui sont anglo-saxons. Mon amie est allée aux US et décrivait un peu ce que j'essaye de vous expliquer: elle avait beau parler la langue, fondamentalement elle n'arrivait pas à "connecter" avec les américains, il y avait trop de différence dans la manière de penser (rien que dans le "Have a good day!" qui conclu une conversation et qui aux US devient "Have a fantastic/awesome/incredible/best day of your life!" on sent une différence profonde sur la manière de voir la vie, modération contre excès pour simplifier).

Au bout d'un moment, il devient très difficile de vivre dans un pays dont on ne partage pas les valeurs de base. Il m'est arrivé, en parlant avec un de mes meilleurs amis, pourtant démocrate et vraiment éduqué, de tomber des nues lorsque de nulle part, on s'embrouillait sur un truc donné (du type pour ou contre la peine de mort, si vous voulez), et que je me rendais compte que nous avions des valeurs complètement différentes et que nous n'arriverions jamais à nous comprendre. Parfois, ce n'est pas grave, la différence est enrichissante... Et parfois, c'est très dur, quand cela touche à des concepts comme la solidarité entre les gens par exemple. Parfois, c'est inacceptable, cela entre trop en conflit avec nos valeurs. Ce n'est pas grave, hein, chacun ses opinions et sa vie... Mais dans ce cas, il faut accepter que l'on n'est juste pas fait pour vivre ensemble et que cela n'est pas grave.

 J'ai d'ailleurs assez peu d'ami proches à Seattle, et comme par hasard, mes meilleurs amis étaient soient des expats (turcs, français), soit un ami très cher qui a passé plusieurs années en France, soit une autre qui a voyagé pendant des mois au Tibet... Je crois que je n'ai que deux couples d'américains relativement standards que je considère vraiment comme des amis proches, et en y réfléchissant bien, l'une d'entre elle a passé son enfance à Chypre... Comme quoi, il n'y a pas de hasard.

Il y a donc une combinaison de trois choses qui font que je ne pense pas être fait pour vivre là-bas: ce conflit de valeurs de bases entre ma culture et la culture américaine (un autre exemple dont il faudrait reparler, l'éducation des enfants), les contraintes épuisantes que cela crée sur les voyages et sur la vie de famille au sens large, et la vie de tous les jour, le lien entre les gens, notre identité profonde, ce qui fait que l'on est français. Tiens, anecdote, j'ai complètement halluciné au petit supermarché de quartier, au rayon pâtisserie... Même les produits surgelés, c'est "petite tarte aux pommes avec son glaçage de mousse de citron". Si vous saviez à quel point ce qui passe pour de la pâtisserie de qualité aux US est immonde à coté... C'est aussi cela, la culture, la vie de tous les jours... Et je me rends compte qu'en temps que français, oui, cela m'importe, oui, j'aime manger à un point qui ne se trouve dans aucun autre pays. C'est notre truc, et ça m'a manqué.

En fait, pour être heureux à Seattle, il faudrait que je puisse prendre l'avion à volonté pour les occasions spéciales (naissances/mariage/décès), que je puisse prendre des vacances "ailleurs", et que je puisse passer 6 mois par an à Paris pour satisfaire mon "besoin de ville et de France". Bien sûr c'est impossible.

Au final, je vous écris de mon canapé, avec mon chat sur les genoux, comme d'habitude. J'aime mon appartement, ses beaux parquets en chêne, il est agréable, cosy, il a bien plus de charme et de caractère que les constructions en contreplaqué modernes de Seattle Je connais tous mes voisins qui me filent des coups de mains régulièrement (je n'ai jamais parlé à un voisin à Seattle), et inversement. J'ai un rade en bas de chez moi où je peux aller traîner quand j'ai un coup de flemme. En 15 minutes, je suis à Notre-Dame et je peux me gorger des vieilles pierres que j'aime tant. J'ai eu quasiment deux ou trois fois par semaine du monde à dîner chez moi (aux US, c'est super dur de bouger les gens). J'ai pu aller voir ma grand-mère qui a Alzheimer et apporter un peu de soutient à mon grand-père en personne plutôt que juste l'appeler au tel. Bref, mon âme n'est plus déchirée par cette plaie béante qu'est la contrainte de la distance, l'impression de vivre une autre vie dans un autre monde, les chaines très réelles imposées par les statuts d'immigration aussi (je me suis parfois retrouvé coincé aux US, n'ayant pas le droit de sortir sous peine de ne pouvoir re-rentrer, je vous assure, c'est pénible).

C'était une expérience à faire, c'est sûr, et si je n'avais pas été malade, cela aurait probablement été plus facile, j'aurais eu assez d'argent pour prendre des congés sans solde et nous permettre de souffler un peu. Si c'était à refaire, je le referais, mais probablement moins longtemps. Paradoxalement, je crois que je projetais tellement de choses sur le retour en France (et franchement avec un vécu merdique comme le mien, je vous met au défi de faire le contraire) que je ne me rendais pas compte qu'en fait, c'était ce dont j'avais besoin, de rentrer. Je crois que de toute façon on ne peut vraiment s'en rendre compte que lorsque l'on est vraiment rentré.

Attention, durant tout ce post, j'ai passé mon temps à parler de tout ce qui m'a rendu cette expérience difficile, mais rappelez vous bien aussi qu'en moi coexistent deux sentiments et que j'ai vraiment adoré cette ville. On peut aimer passionnément, et j'emploie ce mot à dessein, quelque chose qui nous cause aussi beaucoup de souffrance, nous ne sommes pas des créatures binaires. Paradoxalement, je vais aussi maintenant souffrir d'être loin de Seattle, mais toute la subtilité est là: qu'est ce qui me fait le moins souffrir, qu'est ce qui me rend le plus heureux?

J'ai passé la dernière semaine à un séminaire de méditation de mon école, qui se déroule dans une vieille ferme transformée en maison d'hôtes. J'ai passé des heures à regarder les vieilles poutres de ma chambre avec les larmes aux yeux. Des poutres plus vieilles que Seattle, j'en suis à peu près persuadé. Je me suis goinfré le matin de baguette chaude à la table communale. J'ai mangé goulûment du pain d'épice fait maison par notre cuisinière Marie-Pierre que je connais depuis presque 10 ans et j'ai eu presque une expérience mystique en goûtant ses poires au vin et à la cannelle (c'est tellement simple! pourquoi cela n'existe pas ailleurs?). J'ai discuté pendant des heures adossé à un vieux mur de pierre plusieurs fois centenaire avec des amis qui, s'ils ne sont pas toujours de mon avis, partagent mes valeurs fondamentales et me comprennent sans que j'ai besoin de parler. J'ai médité à la chaleur du poêle et j'ai rentré du bois avec un de mes meilleurs amis. J'ai râlé de ne pas m'être fait contrôlé dans le train et donc d'avoir "payé pour rien". J'ai acheté un chausson au pomme à mon ami en me goinfrant d'une torsade au chocolat.

Je suis chez moi, enfin.



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