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Puissance de feu de l'orchestre

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Ces derniers temps j'ai assisté à la Philharmonie à deux concerts exceptionnels à plus d'un titre, d'abord parce que ce sont des œuvres symphoniques rarement représentées à cause de leur dispositif ou du nombre d'interprètes requis. Il s'agissait de l'opéra Die Soldaten (1965) de Bernd Alois Zimmermann et de Kraft de Magnus Lindberg.
En 1977 j'avais eu la chance d'assister à l'Opéra Garnier à une version réduite des Soldats dirigée par Pierre Boulez, "symphonie vocale" pour six chanteurs et orchestre n'exigeant pas les seize chanteurs, les dix voix parlées et les cent instrumentistes, les écrans de projection et les dix groupes de haut-parleurs... La représentation du 28 janvier dernier par le Gürzenich-Orchester Köln dirigée par François-Xavier Roth bénéficiait d'une mise en espace sobre, mais parfaitement adaptée, de Calixto Bieito. À un moment les sons électroacoustiques nous entourent jusque sur les balcons. Cette œuvre monstrueuse m'apparaît comme marquer la fin du règne du strict dodécaphonisme. Zimmermann assume totalement le passé, mais il a déjà un pied dans le futur avec, par exemple, une guitare électrique ou un jazz-band complétant l'orchestre. Pourtant je ne peux m'empêcher toujours de penser au mélologue Lélio ou le Retour à la vie, suite de la Symphonie fantastique d'Hector Berlioz, pamphlet vengeur rarement joué, sorte de précurseur du théâtre musical contemporain.


Le 15 février, le second concert était un hommage à Kaija Saariaho, disparue l'an dernier, dont j'appréciai la délicatesse avec Aile du songe (2000-2021) pour flûte et orchestre de chambre dirigé par sa fille, Aliisa Neige Barrière, et Notes on Light (2006) pour violoncelle et orchestre dirigé par Esa-Pekka Salonen. Je peux même dire que je préférai nettement ses oiseaux à ceux d'Olivier Messiaen, pourtant si réputés, mais qui m'ont toujours paru vains en comparaison des originaux ! La flûte de Sophie Cherrier et le violoncelle d'Éric-Maria Couturier, deux musiciens de l'Ensemble intercontemporain, m'enchantèrent littéralement. Je passe sur Les Océanides de Jean Sibelius dont la musique m'a toujours laissé de glace pour en arriver à la seconde partie consacrée à Kraft (1983-1985) de Magnus Lindberg, puisque la soirée était entièrement finlandaise.


Les hôtesses distribuèrent des boules Quiès à l'entr'acte, annonçant la puissance de feu de cette pièce de jeunesse qui avait été créée à Helsinki par Salonen il y a près de quarante ans. Je fus évidemment comblé par la rage qui s'en dégage, avec les éléments électroacoustiques, les déplacements des solistes amplifiés et leur spatialisation dans la salle, les percussions inhabituelles, la performance vocale quasi lettriste du chef avec un micro... Et l'Orchestre de Paris. J'y reconnais aussi l'influence de l'enseignement de Vinko Globokar avec qui j'ai eu la chance de collaborer en 1992 et, à la même époque, de Gérard Grisey qui fréquentait nos soirées de l'ABC Comme, une revue qui tirait au nombre de ses contributeurs. Lorsque Lindberg affirme "seul l'extrême est intéressant... L'hypercomplexe combiné avec le primitif", je ne peux que reconnaître certaines de mes aspirations. Et pourtant...

Pourtant je ne peux m'empêcher de considérer l'aspect économique et social de l'entreprise, hérité d'une longue histoire de la musique institutionnelle. À mes débuts j'attaquai le système pyramidal élitaire qui régit ce monde, son arrogance de classe, les coûts exorbitants qu'exigent les orchestres symphoniques, alors qu'il existe de nouvelles techniques et des rapports plus humains entre les êtres tels que je les avais connus dans les musiques dites populaires, et qui, pour certaines, sont tout aussi savantes. Je m'appuyais sur les entretiens d'Edgard Varèse avec Georges Charbonnier où mon compositeur de prédilection d'alors ne ménageait pas ses critiques. J'acceptais le répertoire, mais je ne comprenais pas que les compositeurs d'aujourd'hui perpétuent des méthodes qui me semblaient d'un autre âge, de plus iniques et exclusives. J'avais d'ailleurs toujours privilégié les outsiders, souvent plus ou moins autodidactes, Rameau, Berlioz, Satie, Varèse, Ives, Zappa, etc. Je regrettais que Skies of America d'Ornette Coleman soit si peu connu. Les nouvelles technologies sont maintenant utilisées partout, même par les classiques contemporains, mais je note que lorsqu'ils racontent leur histoire de la musique, ils se trompent de dix ans sur les débuts de ces inventions. Dans Kraft les mouvements des cordes, voire des cuivres, sont inimitables, mais le travail des percussions n'est pas à la hauteur de ceux qu'on assimile au jazz ou aux musiques dites improvisées. Évidemment les orchestres existent et ne peuvent se cantonner au répertoire du passé. Les créations sont indispensables. Mais il serait alors constructif d'offrir cet instrument à des compositeurs et des compositrices qui oseraient le repenser de fond en comble. Ce n'est question que de choix politique, donc économique, et ces choix influent considérablement sur l'évolution des arts. En citant Varèse, je repensais, par exemple, à ses suggestions sur l'amplification. Ou lorsqu'il compare l'orchestre symphonique à un éléphant hydropique et le jazz-band à un tigre. Il est probable que ma critique est liée à celle des usages et des habitudes. J'ai besoin d'interroger ce qui est donné pour acquis et reprendre le sujet à la base, une remise à zéro qui m'a toujours semblée nécessaire pour inventer de nouvelles formes, tant artistiques, que dans les relations humaines qu'elles impliquent.


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