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Les disques de David Lynch


En feuilletant le numéro spécial des Cahiers du Cinéma consacré à David Lynch, je suis surpris de l'absence quasi totale de référence à ses disques, sauf une note un peu méprisante, alors que Crazy Clown Time et The Big Dream, sortis sous son nom seul, méritent autant que ses films ou ses œuvres plastiques de figurer dans le panthéon lynchien. Je reproduis donc deux articles parus le 9 avril 2012 et le 14 novembre 2018, le premier sur Crazy Clown Time, le second sur Thought Gang, celui-là réalisé avec Angelo Badalamenti, son compositeur attitré qui n'a jamais fait que se fondre dans l'univers du cinéaste. Lynch n'a pas non plus inventé le design sonore au cinéma comme le suggère l'un des commentateurs (compositeur inculte !) de la revue (les exemples antérieurs sont légion depuis l'avènement du parlant avec par exemple Lang, Barnet ou Epstein), mais le son dans ses films participe autant que le reste à créer un monde unique et fascinant, médium si mal traité dans l'histoire du cinéma. À noter que dans sa version anglophone, Wikipedia consacre une page à la discographie de Lynch.

Crazy Clown Time

Ce n'est qu'à la deuxième écoute que le premier disque solo de David Lynch accapare mon attention. J'avais cru entendre de l'électro-pop ou quelque trip hop à la Massive Attack alors que ce sont d'originales miniatures sonographiées où le réalisateur incarne un personnage différent pour chaque chanson. L'album s'ouvre sur Pinky's Dream avec la chanteuse Karen O, tous les autres morceaux étant interprétés par Lynch s'accompagnant à la guitare, au synthé et aux percussions, secondé par l'ingénieur du son Dean Hurley à la batterie, plus guitare, basse, synthé, orgue Hammond et programmation. L'ensemble, réalisé lors de diverses expérimentations en home studio, n'a été nullement envisagé pour la scène. J'avais été freiné par le second index, Good Day Today, banale house vocodée, mais dès le troisième, So Glad, une mayonnaise sordide vous attrape et ne vous lâche plus. Au quatrième, Noah's Ark, on identifie parfaitement l'univers lynchien développé dans ses films, un truc lugubre, susurré, avec une pédale monotone insidieuse et un rythme lent ou cardiaque que l'on retrouvera sur Football Game où le réalisateur chante comme s'il avait une patate chaude dans la bouche, quasi débile, comme sur I Know. Le tempo s'accélère sur Strange And productive Thinking avec un effet monotone du vocoder que le texte justifie cette fois pleinement. Retour à la rythmique pesante avec l'instrumental The Night Bell With Lightning et nouvelle accélération pour Stone's Gone Up. On arrive ainsi à Crazy Clown Time qui donne son nom à l'album.


Le clip vidéo dirigé par le réalisateur illustre mot à mot les paroles, mais quelques sons semblent avoir été ajoutés pour le film, à moins que la version audiovisuelle fasse ressortir des détails qui m'avaient échappé. Il en fourmille en effet des quantités tout au long de l'album. Si les cinéastes ont l'habitude de charger inutilement leur mixage avec de la musique redondante, la démarche inverse consistant à ajouter des sons à la version discographique pour transformer une chanson en court métrage dramatique est toujours passionnante. Les délires plaintifs du Lynch nasal se perpétuent sur These Are My Friends, Speed Roaster, Movin' on et She Rise Up sans rien apporter de nouveau à la compilation. Le bel objet graphique qui habille le disque reflète l'hermétisme glauque du cinéaste devenu ici compositeur d'une musique envoûtante. (Sunday Best Records, dist. Universal)

Thought Gang


Nombreux fans du cinéma de David Lynch ignorent qu'il peint ou qu'il a enregistré des disques aussi allumés que ses films. Mon préféré reste Crazy Clown Time où il incarne des personnages, transformant chaque chanson techno-rock en petit court métrage audio. L'album Thought Gang, composé avec son compositeur de films attitré Angelo Badalamenti, est du même acabit, même s'il est plus abstrait. Ce ne sont pas des chansons, mais des évocations musicales que Lynch a imaginées comme des courtes histoires...


Bien qu'il sorte aujourd'hui, l'objet n'est pas une nouveauté puisqu'il a été enregistré de 1991 à 1993, entre la saison 2 de Twin Peaks et le début de la production de Fire Walk With Me. Lynch en a d'ailleurs utilisé des bouts pour ses publicités Adidas, la série HBO Hotel Room (Logic & Common Sense), Mulholland Drive, Inland Empire, Fire Walk With Me (A Real Indication et The Black Dog Runs at Night) et la saison 3 de Twin Peaks (Frank 2000, Summer Night Noise, Logic and Common Sense). Le résultat est très excitant, mélange de free jazz, de rock déglingué, de cymbales noise et de spoken word. Filtrer sa voix avec un son téléphone fait automatiquement glisser le morceau vers la fiction. Ce mélange expérimental ne surprendra pas pour autant les amateurs de musiques improvisées...


Les consignes d'improvisation aux musiciens sont parfois rigolotes : « Imaginez que vous êtes un poulet avec la tête tranchée et que vous courez avec un millier de dollars dans le gosier ! » Angelo Badalamenti pose sa voix et joue des claviers, David Lynch est aux percussions et joue un peu de guitare et de synthé. Ils se sont adjoints le bassiste Reggie Hamilton, le batteur Gerry Brown, le claviériste-souffleur Tom Ranier, plus Vinnie Bell à la guitare, Buster Williams à la basse et Grady Tate à la batterie sur A Real Indication, tous des musiciens de jazz ! Sur Summer Night Noise Lynch dit à ses gars : « Ça commence vraiment, vraiment calme... Pensez à une nuit d’été : des insectes, une petite brise, l'herbe dans le vent... Et au loin arrive une tempête... Elle s'approche... Et se rapproche... Et elle se déchaîne, c'est simplement une violente tempête d'été avec le tonnerre et les éclairs... Et puis ça va, ça se calme et ça s'éloigne... Et ensuite nous sommes de retour à un calme humide et humide. » Lynch appelle tout cela de la "musique moderne". J'imagine que ce doit être un parallèle avec son cinéma moderne, une manière pour lui de s'affranchir de la grille de formatage des chansons !

→ David Lynch & Angelo Badalamenti, Thought Gang, Sacred Bones Records, CD/LP/Bandcamp


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