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Jean Morières, dix ans déjà


Jeudi 18 janvier à 20H30 au JAM, 100 rue Ferdinand de Lesseps à Montpellier, nous serons une vingtaine de musiciens et musiciennes à rendre hommage à notre camarade Jean Morières qui nous a quittés il y a dix ans. Pour ces Suites, se produiront Philippe Allain-Dupré (flûte traversière), Agnès Binet (accordéon), René Bosc (guitare, vidéo), François Cotinaud (clarinette, chant), François-Xavier Debray (basse), Pierre Diaz (saxophone soprano), Jérôme Dru (guitare), Denis Fournier (batterie, percussions), Olivier-Roman Garcia (guitare), Pascale Labbé (chant), Jerôme Lefèbvre (guitare), Gabriel Leonetti (trombone), Christophe Lombard (guitare), Jean-Baptiste Lombard (kamaycha), Michel Marre (trompette), Antoine Morières (batterie), Mathéo Morières (chant), Mathilde Morières (chant). Je m'accompagnerai au Terra pour un texte que j'avais demandé à Jean pour le Journal des Allumés. La question portait sur les occasions manquées. Je reproduis ici sa réponse ainsi que quelques articles publiés dans cette colonne.

À l’impossible, nul n’est tenu (17 avril 2018)

Il y a l'occasion manquée : le train en retard, l'accident, le rendez-vous raté. Derrière se profile le « si j'avais..., ma vie en eut peut-être été changée », avec tous les points d'interrogation qui l'accompagnent. Au fond, chaque jour est fait majoritairement de situations, de personnes, de livres, de lieux que l'on ne connaîtra jamais. Mais il y a aussi, plus énigmatique, plus douloureux : "l'occasion à manquer", par exemple les coups classiques du speaker aphone, de la grippe de rentrée des classes, la panne d'essence, le bouton disgracieux à un rendez-vous galant ; ou encore la star qui se prend les pieds dans le tapis, Poulidor, et pourquoi pas Lionel Jospin ou même Janis Joplin, Jimi Hendrix (quoique ces derniers, comme on dit, ne se soient pas ratés)… Il y a soudain comme une sorte de goulet d'étranglement, un enjeu incontournable ou décisif. Soudain, quelque chose en nous refuse la situation : notre vilain canard d'inconscient rechigne devant l'obstacle. Refus de la valeur, peur de l'échec ? Certes, mais le plus troublant est cette sensation étrange d'aimer échouer, comme si, en nous, un vilain diablotin cherchait à nous dicter la phrase à ne pas dire, le geste fatal, entraînant une sensation schizoïde fort désagréable. D'autant plus que, lorsqu’on en a pris conscience, vient ensuite la peur d'aimer échouer (ça se complique). Ce curieux phénomène cause de sérieux dommages à notre idée du libre-arbitre et remplit les cabinets (et les poches) des psychanalystes. Les optimistes peuvent se dire après coup : « j'ai échoué, mais au fond, je n'avais pas vraiment envie de réussir », reconnaissons hélas qu'en général, on ne désirait pas pour autant échouer, même si on y a réussi. Pour ma part, je me souviens d'une année pubertaire cauchemardesque au lycée qui s'est soldée par un redoublement de ma classe de quatrième. J'ai vécu lors de l'annonce de cet échec scolaire un soulagement, une volupté totale et inattendue. Plus que le redoublement lui-même, c'est ce sentiment qui à l'époque me bouleversa le plus et m’obligea ensuite à me poser quelques questions. L'idéal, c'est tout de même lorsque l'on peut dire, comme dans Les liaisons dangereuses, « ce n'est pas ma faute », cela demande beaucoup d'énergie pour s'en persuader, mais on y arrive. Par exemple, si je veux réussir à rater ce texte sur les occasions manquées, c'est très difficile. Si le texte est raté, c'est un succès, s'il est bon, c'est raté, donc encore réussi, je suis donc dans une totale impossibilité d'échouer. Au fait, l'ai-je bien descendu ?

Jean Morières s'est envolé (24 janvier 2014)


La terrible nouvelle nous assaille, rappelant la fragilité de nos existences. Il suffit qu'un fil casse pour que notre toile se replie à jamais sur nous-même comme un linceul qui nous colle à la peau, barque de fortune flottant sur le Styx, bulle de savon s'évaporant dans les nuages ou poignée de terre rejoignant le magma. Quelque soit le chemin chacun y trouve son élément. Il suffit d'un quart de seconde pour refaire le trajet à l'envers et le papillon redevient cocon. Certains départs sont trop précipités. Jean Morières n'aurait rien vu venir. Il savait respirer le bon air de la campagne, pratiquait la méditation avec la même discipline qu'il travaillait sa flûte zavrila, il aimait rire et chanter. Mardi après-midi le coup l'a frappé en haut d'une petite colline comme il se promenait dans la garrigue. Tout s'est arrêté sans prévenir. À Pascale, à Mathilde, Antoine et Fani, il laisse une foule d'images, de sons, de paroles, de gestes, de sentiments où son esprit critique se vêt d'humour et de tendresse. Mais ce soir, plutôt qu'à sa flûte apaisée et rêvée je choisis de le réentendre endosser l'enveloppe de son double mordant, le caustique Eddy Bitoire, pseudonyme non dupe de ce que nous réserve l'avenir. À plus tard.

Hommage à Jean Morières 1951-2014 (22 janvier 2015)


[...] Rien ne laissait prévoir cette disparition prématurée qui nous priverait de son humour, de ses pensées, de son amitié et de sa musique si nous n'y prenions pas garde. Un an plus tard sa famille et ses amis [avaient] décidé de lui rendre hommage en organisant un concert impromptu. [S'étaient succédés] le pianiste Florestan Boutin, le flûtiste Bruno Meillier, un trio formé de l'accordéoniste Agnès Binet, du saxophoniste François Cotinaud et du guitariste Jérôme Lefebvre, le guitariste Olivier Benoit, le clarinettiste Sylvain Kassap, et ma pomme. Ses témoignages en direct [étaient] entrecoupés de films de Mathilde Morières (Autour de la zavrila, Un bon snob nu, Le cirque de chambre, Modus Operandi, La vie à Montignargues, Musique et vie, Eddy Bitoire). Sa compagne Pascale Labbé, ainsi que Fani et Antoine [étaient] évidemment là également.


- Esprit es-tu là ?, le dernier album de Jean Morières en duo avec Florestan Boutin est un modèle de délicatesse. Japonaiserie à la manière de Van Gogh, c'est un pont sous la pluie, un arbre en fleurs, une miniature d'ukiyo-e gravée sur le bois de la table d'harmonie et autour du cylindre de buis. Le piano préparé accompagne la flûte zavrila que Jean avait inventée à sa mesure et qu'il faudrait bien qu'un musicien adopte pour qu'elle continue à vibrer. Que son esprit se manifeste dans le bois. Enregistré le 5 juin 2012 au Conservatoire de Montreuil, le disque qui tourne sur la table ne porte pas d'étiquette. Sans label, il n'est qu'une émanation. Impalpable, la musique est devenue celle des sphères.

Les chansons nâvrantes d'Eddy Bitoire (27 avril 2012)


Les chansons décalées ont toujours été une tradition. Au siècle dernier, Georgius, Fredo Minablo et sa Pizza Musicale (un des nombreux pseudonymes de Boris Vian), Bobby Lapointe, Édouard, Pierre Perret, Licence IV, Les inconnus, et combien de chansonniers, ont remonté le moral à plus d'un désespéré. Même Jacques Dutronc, alors directeur artistique, se lança accidentellement dans la chanson pour rigoler. Chez eux il existe une distance que ne véhiculent pas les comiques avérés comme Fernandel ou Bourvil, encore que la frontière soit mince. Le second degré existe-t-il ou est-ce une manière coupable d'assumer ses amours inavouables ?



Nous avons peu d'informations sur la carrière d'Eddy Bitoire. Certains aficionados du jazz prétendent avoir reconnu un souffleur inventif dont la musique échappe aux canons à la mode. Raison de plus pour Eddy, tenté par l'exercice et convoquant toute la famille des potes pour réaliser ses chansons nâvrantes (l'accent circonflexe est paraît-il une piste pour l'identifier). Quitte ou double ? Sur SoundCloud, on pourra également écouter Bingo, Méfie-toi, P le 1, Courbez-vous, Un alien, Ce que j'aime chez toi, J'bute sur Nietzsche, Benoit, I Speck The Prues, Une maladie rare, Qui donc ?, Une tomate, Dis au revoir, Les gâteaux secs...


Clips réalisés respectivement par Cyril Laucournet et Jenifer Titi.

Le fantôme de John (18 décembre 2015)


Mathilde Morières a mis en ligne une première mouture du film sur son père, le musicien Jean Morières, compositeur, improvisateur et inventeur de la flûte zavrila, disparu brusquement en janvier 2014. Elle a découpé ce très bel hommage en trois parties : Épreuve #1-Rien n'est vraiment perdu, Épreuve #2-Depuis que je voyage en musique..., Épreuve #3-La mort tout le monde s'en fout, le vide qu'elle laisse, ça... Il commence avec le concert auquel neuf d'entre de ses amis participèrent un an plus tard avec le pianiste Florestan Boutin. Dans les parties suivantes Mathilde s'inspirera de la musique jouée ce jour-là pour s'enfoncer dans les archives qu'elle a filmées les années précédentes lorsque Jean était là. Le fantôme de John joue des strates du temps qui communiquent par des portes que l'on peut croire imaginaires, quatrième dimension où la musique prend la clef des chants. Cette première partie respire le silence : un solo de Jean à la flûte zavrila, l'enregistrement à Radio France d'Un bon snob nu avec sa compagne chanteuse Pascale Labbé qui rejoint ensuite le clarinettiste Sylvain Kassap avant que ne résonne la harpe de porte que j'ai accrochée sur celle des toilettes...


Agnès Binet et Jean à la zavrila entament la seconde partie, mais il est ensuite remplacé par le saxophoniste François Cotinaud à la clarinette, le guitariste Jérôme Lefèbvre et la même accordéoniste tandis que nous partons en ballade, tant dans le montage qui s'accélère que dans les paysages géographiques et musicaux qui se succèdent. La fantaisie de Jean se révèle alors autant que ses préoccupations philosophiques et poétiques. Mathilde nous interroge tous les deux à Bagnolet sur l'époque de notre adolescence, avec Scotch entre nous deux qui se laisse caresser voluptueusement. Antoine et Fani, frère et sœur de Mathilde, se joignent à la délicate sarabande...


Jean accorde ma harpe de porte avant que nous répondions à Mathilde sur la créativité et la liberté. Jean aimait inventer des aphorismes et déconner sérieusement. À mon tour j'adapte l'une de nos interminables discussions pour clavier sampleur. La mort rôde sans que nous y prenions garde. Les bestioles le sentent. Eddy Bitoire, le double moqueur de Jean, ne fait que de brèves apparitions, pas assez à mon goût, tant ses provocations caricaturales étaient spirituelles et drôles. En clôture du concert au Conservatoire de Clichy-la-Garenne nous soutenons tous ensemble Pascale qui craque de la cruelle absence de Jean. Mais Mathilde le fait revivre par ses images et par la musique, une lande éternelle où nous allons de temps en temps voir là-bas si nous y sommes ou comment nous y serions, accostant alternativement aux rives du deuil et des naissances.

Eddy Bitoire, poète du quotidien (11 janvier 2022)


Samedi le facteur dépose dans ma boîte aux lettres un Colissimo très attendu, mais je ne sais pas exactement ce qu'il y a dedans. Le cachet de la poste indique que le paquet a été envoyé de Saint-Geniès-de-Malgoirès dans le Gard. De son vivant, j'exhortais Eddy Bitoire à sortir ses chansons nâvrantes dont j'adorais l'humour franchouillard qui me rappelle Boris Vian, Henri Salvador ou les frères Lefdup. Bitoire c'est la face Hyde du Docteur Jekill, parce qu'on peut être franchement surpris par autant de déconnade lorsqu'on connaît la sobriété de ses disques de flûte solo et le sérieux de son esprit critique sur le monde et l'autre monde. Si les paroles sont parfois scatologiques, souvent grinçantes, les pastiches musicaux sont réalisés avec le plus grand soin sans négliger une bonne dose de salutaire foutage de gueule. Après la disparition brutale de Bitoire, sa famille aura mis sept ans pour publier ce fabuleux coffret, indispensable cadeau à se faire ou à offrir à celles et ceux qu'on aime, histoire de leur rappeler que la vie est courte et qu'il faut surtout la traverser joyeusement sans emmerder les autres. J'utilise un terme galvaudé par un président de la république, le pire que le système nous aura imposé (jusqu'ici) et à qui Bitoire, s'il l'avait connu, n'aurait pas manqué de tailler un short riquiqui à sa mesure. Mais qu'y a-t-il donc dans ce coffret en carton gauffré ?


Je sors d'abord la bouteille de bière de la brasserie du Lez avec la magnifique étiquette où Bitoire pose avec son micro, le mieux placé pour exprimer ce qu'il pense de ce qu'est devenue notre société qui part à vau-l'eau. Dans un filet à provision vert pomme sont glissés un superbe livre illustré et deux CD, soit les deux volumes des "meilleurs succès écrits, composés et interprétés par le poète du quotidien", pas moins de 28 chansons dont on retrouve les paroles dans l'épais ouvrage illustré remarquablement mis en page. Chacune est accompagnée des circonstances de sa création ou d'un passage de la vie aventureuse du héros ainsi que de conseils avisés, culinaires ou de bricolage. Si je connaissais la plupart de celles du premier CD, je découvre les plus récentes, souvent plus dures et plus amères. Comme le secret sera vite éventé, oserai-je suggérer d'en profiter pour écouter les œuvres "sérieuses" de Jean Morières, le musicien qui se cache derrière le pseudo canulardesque, saxophoniste de jazz passé à la flûte zavrila, un instrument chromatique de son invention. Notre ami nous manque cruellement, tant pour les discussions prises de tête où nous refaisions le monde que pour les parties de franche rigolade où nous profitions à fond de la vie. Ce coffret rend génialement hommage au camarade qui nous a quittés prématurément en haut d'une petite colline de sa garrigue. Ils sont quatre à s'être investis dans ce projet posthume : tout le monde chante et joue de plein d'instruments, Jérôme Dru qui a aussi réalisé le livre, texte et graphisme, Antoine Morières, le fiston, qui a compilé, mixé et masterisé les deux disques, Pascale Labbé, la compagne de Jean. En coulisses leurs deux filles, Mathilde et Fanny. Il y a dix ans j'avais affiché deux clips d'Eddy Bitoire qui annonçaient la suite. La voici et ça fait du bien par où que ça passe, mais attention, c'est cru !

→ Eddy Bitoire, le poète du quotidien , coffret 40€ envoi compris avec la bière, le filet à provision, le livre et les 2 CD, ed. Franchemencq, par Paypal ([email protected]) ou par chèque à l'ordre de Pascale Labbé, 2 rue de l'Église, 30190 Montignargues


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