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Sept disques tendres et sages


Quoique je dise ensuite, commençons par souligner que ce sont là sept bons disques, tous récemment publiés. Il existe en France et en Europe de plus en plus d'excellents musiciens avec souvent des mondes personnels qui donnent à rêver. Comme toute analyse évoque d'abord celle ou celui qui écrit je rappelle que je préfère les musiques qui défrisent et prennent à rebrousse-poil plutôt que celles qui sont agréables, même si dans certaines circonstances je profite de ce calme nécessaire. La phrase que Serge de Diaghilev adressa à Jean Cocteau, le soir du 13 mai 1912 Place de la Concorde, est mon guide : "Étonne-moi...". Avec Erik Satie, Léonide Massine et Pablo Picasso, le poète accouchera de Parade cinq ans plus tard. Il avoua n'avoir jamais pensé jusque là à l'idée de surprise "si ravissante chez Apollinaire". Ce goût du rebondissement est évidemment pour moi fondamental, voire fondateur, peut-être grâce à la syntaxe cinématographique que j'applique à mes propres créations. Les sept disques qui suivent appellent plutôt à la tendresse et à l'apaisement.
Pianoïd.2, le piano solo à quatre mains d'Édouard Ferlet, associe un piano Silent, un contrôleur midi, le logiciel Ableton et un Disklavier. D'un côté le pianiste, de l'autre une machine capable de prouesses impossibles au virtuose, comme un afflux de notes à des vitesses inouïes ou des rythmes complexes. Le disque me donne l'impression d'un Conlon Nancarrow qui aurait choisi de produire de l'easy listening. Le jazz se popise et s'électrise, tendance actuelle où la chanson pousse le rock dans le fossé et où le minimalisme oblitère les architectures complexes.


On retrouve ce désir d'élargir son audience dans Dooble de Sylvain Rifflet et Philippe Gordiani. L'électro nique, et ça lui fait du bien. Cet easy listening complexe s'inspire largement d'un autre Américain, Moondog, source d'inspiration durable du saxophoniste-clarinettiste. Quant au guitariste et artiste plasticien, il se concentre sur ses machines rythmiques pour produire une musique répétitive entraînante. À l'époque de l'intelligent jungle, il y a un quart de siècle, Coldcut, Squarepusher ou Amon Tobin passaient ainsi à la moulinette leurs rêves de succès populaire. Le timbre des percussions sèches de Gordiani se mêlent agréablement aux anches onctueuses de Rifflet. Au milieu des instrumentaux, Thomas de Pourquery et Bettina Kee a.k.a. Ornette font battre leur chœur pour une envoûtante chanson et un entêtant récit.


Avec les trois nouveaux disques du label Hongrois BMC, centrés autour de chanteuses inspirées, on quitte les machines.
Avec Twigs la chanteuse Sanne Rambags, le violoncelliste Vincent Courtois et le percussionniste Julian Sartorius retiennent leurs élans et leurs émotions, tant dans les chansons délicates que dans les improvisations susurrées, toujours dans le registre de l'intime.


Shekhinah est entièrement composé par le guitariste Gábor Gadó excepté Mi lusinga il dolce affetto pris dans l'Alcina de Händel. Comme Twigs alternent compositions et improvisations plus libres. Cette musique "contemporaine", fortement inspirée par l'École de Vienne, interprétée par des improvisateurs de jazz pourrait aussi être assimilée à un nouveau baroque. La soprano Veronika Harcsa, qui a écrit les paroles de ces poèmes mis en musique, est accompagnée par János Ávéd au sax ténor et soprano ou à la flûte, Laurent Blondiau à la trompette et au bugle, Éva Csermák au violon, Tamás Zétényi au violoncelle et Gábor Gadó. L'absence de section rythmique renforce l'aspect "classique" de plus en plus en vogue chez les jeunes musiciens, même si la pluralité des sources les affranchit des étiquettes qui pendant longtemps ont cantonné les nouvelles musiques à des genres cloisonnés qui n'intéressaient que les marchands. Beau travail d'ensemble où se sent la complicité des interprètes.


Le Jardin des délices, collaboration de Leïla Martial avec le violoncelliste Valentin Ceccaldi, est le troisième album de cette série de chanteuses privilégiant ici les belles mélodies aux élucubrations hirsutes, même si Leïla Martial a recours à des effets spéciaux comme la réverbération et à des objets sonores, ou lorsqu'elle se laisse aller à des fantaisies humoristiques qui marquent son style. Leurs compositions originales offrent évidemment plus de liberté que Au bois de saint-Amand de Barbara, Cold Song de Henry Purcell, le Réunionnais Alain Péters, Au bord de l'eau de Gabriel Fauré ou Asturiana de Manuel de Falla. Chanson française, musique classique européenne, pop anglo-saxonne, swing jazz, folklores nationaux, nouvelles traditions de l'improvisation, musique narrative, toutes les racines sont assumées pour créer des spectacles hauts en couleurs. Dans ce petit monde créatif, Leïla Martial est une des jeunes chanteuses actuelles les plus intéressantes, aux côtés des Suédoises Isabel Sörling ou Linda Oláh (sans parler des aînées qui leur ont ouvert la voie). La vidéo qui suit a huit ans...


Le nouveau disque du pianiste Ignacio Plaza Ponce me fait découvrir la chanteuse Sélène Saint-Aimé dont la contrebasse se marie agréablement avec la clarinette basse de Matteo Pastorino sur des mélodies délicates, berceuses où là encore l'improvisation complète les compositions. Sur scène la plasticienne Magali Cazo se joint à eux avec encres et pinceaux, dans le même esprit, la transparence imprimant les images et les sons.


La musique chambriste du trio Suzanne fait s'interroger sur la nature de ses pièces qui agrandissent l'appartement qui est le nôtre. J'eus la joie de les voir/entendre dans la cave du 38riv à l'occasion de la sortie de l'album Travel Blind. Pour la seconde partie de leur récital, la violoniste alto Maëlle Desbrosses, la clarinettiste Hélène Duret et le guitariste Pierre Tereygeol avaient invité le sax ténor Quentin Biardeau au son chaud et généreux. Les voix du trio s'intègrent parfaitement à l'orchestration de l'ensemble, souvenirs d'un folklore imaginaire où, là encore, l'improvisation fait prendre les gros plans pour des plans d'ensemble. Il n'y a pas toujours besoin d'électricité pour jouer sur écran large et en Technicolor.




→ Édouard Ferlet, Pianoïd.2, CD Melisse, dist. L'autre distribution, sortie le 3 novembre 2023
→ Rifflet & Gordiani, Dooble, CD Magriff, dist. L'autre distribution, sortie le 18 décembre 2023
→ Sanne Rambags / Vincent Courtois / Julian Sartorius, Twigs, CD BMC
→ Gábor Gadó / Veronika Harcsa Sextet, Shekhinah, CD BMC
→ Leïla Martial / Valentin Ceccaldi, Le jardin des délices, CD BMC
→ Ignacio Plaza Ponce / Sélène Saint-Aimé / Matteo Pastorino / Magali Cazo, Arrulos, CD BloMBos
→ Suzanne, Travel Blind, CD/digital Gigantonium


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