Get Even More Visitors To Your Blog, Upgrade To A Business Listing >>

Le label hongrois BMC nous gâte


BMC sont les initiales de l'excellent label de disques hongrois Budapest Music Center Records fondé en 1998. Il est aujourd'hui ce que fut l'allemand ECM dans le passé, la réverbération omniprésente en moins et de belles pochettes graphiquement plus recherchées ! Le producteur László Gőz, à l'origine tromboniste et enseignant, pioche parmi les plus intéressants musiciens européens actuels qu'il enregistre dans son studio de Budapest, le plus souvent concert à l'appui à l'Opus Jazz Club. Tout a commencé deux ans plus tôt par une bibliothèque musicale chargée de diffuser la nouvelle musique hongroise, sans renier pour autant ses racines profondes dans la musique traditionnelle. Pour la Hongrie ces trois entités gérées conjointement équivalent à une sorte de soft power qui redore le blason d'un pays plus connu pour sa dérive populiste autoritaire aux mains du détestable Viktor Orbán. C'est dans cette perspective catastrophique que se révèlent souvent les mouvements de création les plus prolifiques.
Il y a quelque temps une amie, évoquant son goût pour le jazz, cita Biréli Lagrène comme un des meilleurs jazzmen français. Tout en acquiesçant sur les qualités du guitariste d'origine manouche je ne pus m'empêcher de suggérer que son jazz, certes millésimé, est donc très daté, même pour mon père, né en 1917, qui avait adhéré au Hot Club de France ! C'est hélas une image régulière pour la plupart du grand public qui oscille entre Louis Armstrong et Miles Davis. Je lui expliquai que les jazzmen européens actuels se sont largement démarqués du modèle afro-américain et du swing pour inventer une pléthore de musiques créatives qui n'ont de commun avec le jazz que la liberté individuelle de chaque interprète au sein du groupe. Cela le différencie du rock qui est essentiellement une musique de groupe où l'improvisation tient rarement autant de place. L'enseignement de ces nouveaux jazz prodigué dans les Conservatoires y est pour beaucoup, même si les autodidactes sont nombreux. C'est dans ce vivier de jeunes musiciens et musiciennes talentueux/ses que va puiser László Gőz qui a déjà produit plus de 200 références allant du classique contemporain aux musiques les plus innommables, à savoir qu'aucun nom ne peut les résumer. C'est probablement aussi ce qui les cantonne à des niches appréciées par des afficionados beaucoup moins nombreux qu'ils ne le devraient.
Ainsi quatre CD sortent en septembre. Parmi la quinzaine de disques publiés par BMC que j'ai déjà chroniqués, y figuraient deux du trio Velvet Revolution constitué par le saxophoniste ténor allemand Daniel Erdmann, le violoniste français Théo Ceccaldi et le vibraphoniste anglais Jim Hart. Leur troisième album, Message in a Bubble, m'enthousiasme autant que les précédents, d'autant qu'il offre à Ceccaldi et Hart la possibilité de composer à parts égales, ce qui était essentiellement l'apanage d'Erdmann jusqu'ici. La musique est légère comme du Champagne sans oblitérer la gravité qui nous prend pour des pommes. Parce que l'humour est là, discret, sautillant. Le timbre chaleureux du ténor, la variété timbrale du violon et les rythmiques pointues du vibra forment une pièce montée qui renverse Newton. Un régal !
Le trio formé par le guitariste hongrois Csaba Palotaï, le Français Simon Drappier ici à la guitare baryton et le batteur britannique Steve Argüelles nous gratifie d'un album de pop instrumentale me rappelant les facéties de Dick Dale (célèbre pour son interprétation de Misirlou utilisée par Quentin Tarantino dans Pulp Fiction). Tempo plus lent, mais le mélange des deux guitares et le choix de la réverbération dans le grave participe à cette évocation cinématographique. À leurs côtés, Argüelles reste un des batteurs les plus élégants grâce à une retenue où jamais aucune frappe n'est superflue ni hasardeuse. Il n'y a pas que des références cinématographiques, même si Sunako (l'enfant des sables) est le titre d'un film de Hiroshi Shimizu de 1933. Ricerca renvoie à Ligeti et la Messe Notre Dame de Guillaume de Machaut (épeler : aime assez à chahuter), si chère à mon camarade Bernard Vitet, a des accents de western. Et bien voilà, on y revient, il y a des images de grands espaces en Technicolor dans cette musique où l'improvisation mène le jeu.
Je préfère les CD physiques aux dématérialisés parce que les graphistes peuvent encore faire rêver, et parce que le livret offre souvent des informations ou un texte de présentation qui éclairent la musique ou font ressortir ses ombres. Ainsi lire la prose de Guillaume Malvoisin accompagnant Woodlands, le second album de La Litanie des Cimes, m'a plu tandis que j'écoutais le violoniste Clément Janinet qui l'a composée, la clarinettiste Élodie Pasquier et le violoncelliste Bruno Ducret. Ailleurs bassiste ou guitariste, le jeune Ducret chante ici une vieille mélodie américaine, Triplett Tragedy, pleine d'émotion. Et c'est parti, les compositions de Janinet se laissent fléchir par les improvisateurs. Malvosin évoque le blues comme je parlais plus haut du jazz. On n'en suit plus les canons, d'ailleurs formatés bien après qu'ils soient nés, on en partage l'essence. Une manière de vivre. C'est ce que devrait toujours être la musique. Ni un métier, ni un art. Juste une manière de vivre. Dans l'instant où elle se joue, mais, pourquoi pas, dans le reste du temps, lorsque l'on rêve, éveillé ou endormi. C'est un peu le sentiment que m'a produit la musique de chambre de La Litanie des Cimes. Comme si leurs alliages sonores avait envahi ma maison, des ondes se propageant dans l'air en faisant oublier les machines qui les véhiculent.
De Velvet Revolution j'avais donc écrit sur A Shift Moment of Zero G et Won't Put No Flag Out, sans parler de mes articles sur Das Kapital. La Litanie des Cimes avait excité ma curiosité du temps de leur Jazz Migration et Clément Janinet avait suscité trois articles, pour le premier O.U.R.S., pour le second et pour les Space Galvachers. La Cabane Perchée de Csaba Palotaï et Steve Argüelles fait aussi partie de la mémoire de ce blog avec tous ses trémas. Mais Gábor Gadó et le Veronika Harcsa Sextet sont nouveaux pour moi, même si Gadó fut l'un des premiers artistes à avoir enregistré sur BMC. Retour aux artistes hongrois, même si (il y a beaucoup de même si dans cet article), même s'il vit en France, comme Palotaï, Erdmann, Argüelles d'ailleurs, à croire que notre pays n'a pas perdu tous ses attraits de terre d'accueil, malgré les coups que lui portent régulièrement les gouvernements pourris qui s'y succèdent. Le chant lyrique de Veronika Harcsa, qui a écrit les paroles et jazzwoman par ailleurs, et l'absence de section rythmique confèrent à l'album Shekhinah une coloration plus musique contemporaine que jazz, mais comme je l'expliquais plus haut, cela ne veut plus rien dire. Du jazz il y en a aussi. Et d'la pomme ! Avec le trompettiste belge Laurent Blondiau, le saxophoniste-flûtiste János Ávéd et la guitare de Gadó... La violoniste Éva Csermák et le violoncelliste Tamás Zétényi sonnent plus classiques, ou contemporains, les monodies de Gadó rappelant parfois l'École de Vienne. Mouvements unanimes, accords larges, économie de moyens, poèmes évanescents, sobriété des accompagnements vont dans le même sens, alors que l'ensemble crée un univers riche et varié qui dresse un pont entre le baroque et le jazz, deux traditions qui se rejoignent souvent dans la modernité...

→ Velvet Revolution, Message in a Bubble, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 8 septembre 2023
→ Csaba Palotaï / Simon Drappier / Steve Argüelles, Sunako, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 8 septembre 2023
→ Clément Janinet / La Litanie des Cimes, Woodlands, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 22 septembre 2023
→ Gábor Gadó / Veronika Harcsa Sextet, Shehinah, CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 22 septembre 2023


This post first appeared on Jean-Jacques Birgé, please read the originial post: here

Share the post

Le label hongrois BMC nous gâte

×

Subscribe to Jean-jacques Birgé

Get updates delivered right to your inbox!

Thank you for your subscription

×