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In Fractured Silence, la genèse


Pour l'excellent site It's Psychedelic Baby Magazine du slovène Klemen Breznikar, je reviens sur la genèse de l'enregistrement de Tunnel sous la Manche (Under The Channel) d'Un Drame Musical Instantané en 1983. Hélène Sage fait de même pour Frissons dans la cochlée. Ces deux pièces figurent sur le disque culte In Fractured Silence où l'on peut également écouter Sema et Nurse With Wound. Il manque le témoignage de Steven Stapleton qui est à l'initiative de ce projet collectif, mais il a rédigé l'insert, en anglais et français, glissé dans le vinyle original publié par United Dairies et sa réédition par Souffle Continu Records. Tout ce qui touche à Nurse With Wound est fondamental grâce à la célèbre Nurse With Wound List, véritable Bible de l'Underground où l'on trouve mon premier disque, Défense de de Birgé Gorgé Shiroc enregistré en 1975. Il y a deux ans j'avais déjà répondu à une très longue interview pour It's Psychedelic Baby Magazine. Mes deux contributions sont en anglais, mais ce sont des témoignages conséquents sur mon travail et surtout celui du trio que nous formions avec Francis Gorgé et Bernard Vitet. Ils sont en outre généreusement illustrés par de nombreuses photographies. Je livre ci-dessous la version française de mon texte sur le Drame et sa contribution à In Fractured Silence.

En 1981, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République et la nomination de Jack Lang au ministère de la Culture, le budget de la culture représentait 1% du budget de la France, ce qui est énorme comparé à ce qui se pratique aujourd’hui. J’avais reçu un coup de téléphone de la Direction de la Musique me demandant si Un Drame Musical Instantané avait un projet artistique, car il y avait trop d’argent à attribuer ! Dans la nuit nous avons monté une association et proposé le grand orchestre du Drame que nous venions de créer. La subvention nous permit de faire vivre cet orchestre de quinze musiciens pendant six ans. Cette époque marqua aussi les années d’or de Radio France, initiées par Alain Durel et Louis Dandrel. C’est ainsi que, pour France Musique, Didier Alluard et Monique Veaute nous proposèrent de réaliser deux émissions de création de plus de deux heures où nous étions totalement libres. La radio nationale nous donnait accès à ses archives et nous adjoignait deux assistants formidables, Bernard Treton et Christine Bessely, ainsi que qu’un ingénieur du son pour mixer tout cela, Alain Nedelec, et une bruiteuse, Dominique Auber, même si je me chargeais de la plupart.


USA le complot, la première création d’Un Drame Musical Instantané, fut diffusée le 17 juin 1983. La bande-annonce que nous avions composée disait : « L’histoire des USA ressemble à un western. Les colons sont venus sans rien. Ils ont dû prendre. D’abord les terres indiennes, et le jazz des esclaves africains, et les matières premières du tiers monde. L’Amérique est devenue forte. Elle a le sens des affaires. Ce qu’on a volé, il a fallu le vendre. Les Américains ont le sens de l’hospitalité : ils sont partout chez eux. Génocide, ségrégation, chasse aux sorcières, impérialisme… Des États Unis d’Amérique retentit sur tout le globe une étrange musique qui fait semblant d’être sourde à ce qui se passe ailleurs où c’est une autre histoire… U.S.A., le complot. Une émission réalisée par Un Drame Musical Instantané. Jean-Jacques Birgé, Bernard Vitet, Francis Gorgé. Vendredi 17 juin de 22h30 à 1h du matin. »

L’émission était essentiellement constituée de documents sonores et musicaux prééxistants : Mothers of Invention God Bless America. Musique des Indiens Navajos. Batteries d'ordonnance du Corps Expéditionnaire de Rochambeau. John Ford et Samuel Fuller. Chant Peyotl des Sioux Yankton. Revendications des tribus indiennes. John Philip Sousa Galant 7th. Buffalo Bill. Témoignages de Jean et Geneviève Birgé. Le jugement des flèches, musique de Victor Young. Chant de femmes du Burundi. Aretha Franklin Mary Don't You Weep. Steve Reich It's Gonna Rain. The Last Poets New York New York. Colette Magny Oink Oink. Ruben and The Jets Almost Grown. News On The March. Jimi Hendrix Star Spangled Banner. Charles Ives chante They Are There. Rocker par Charlie Parker en soutien au Parti Communiste Américain. Thelonious Monk et Miles Davis Bag's Groove. Albert Ayler Spirits Rejoyce. Cathy Berberian Stripsody par Marie-Thérèse Foy. Le Journal de Wall Street sur la culture française. Bertolt Brecht devant la Commission des Activités Anti-Américaines. Johnny Guitar, Vera Cruz, Un roi à New York, Tex Avery, Underworld USA. Humphrey Bogart, James Cagney. Johnny Hallyday La bagarre. Serge Gainsbourg Comic Strip. Michel Jonasz Big Boss. Karen Cherryl La marche des machos. Adriano Celentano 24000 baisers. Nina Hagen. Los Bravos Black is Black. Pyramis. YMO. Ryo Kawasaki and The Golden Dragon. Miles Davis Solea. Harry Partch chante The Letter. Spike Jones Hawaïan War Chant. Terry Riley et John Cale Church of Anthrax. Laurie Anderson From The Air. Charles Ives Variations on America… À cette époque la fin des émissions était marquée par La Marseillaise dans l’orchestration de Berlioz, c'était de circonstance en l'occurrence ! La nuit, les émissions s’arrêtaient.


La peur du vide, seconde création d’Un Drame Musical Instantané, fut diffusée le 1er juillet 1983. Même équipe, mais cette fois le Drame s’immisçait dans la programmation avec quatre pièces originales composées spécialement : La peur du vide, Légitime Défense, Le directeur paiera pour ses crimes et Tunnel sous la Manche. Le style choisi était un thriller. En dehors des pièces enregistrées dans le studio de France Musique par nous trois, les deux heures trente-trois minutes comprenaient Arnold Schönberg Die eiserne Brigade, Edgar Varèse Ionisation, Camille Saint-Saëns improvise au piano Samson et Dalila, Hector Berlioz La damnation de Faust, Pandemonium, Sérénade, Charles Trenet Joue-moi de l'électrophone, les Frères Jacques Monsieur William, Claude Nougaro À bout de souffle, Georgius Monsieur Bebert, Marianne Oswald Anna la bonne, Bernard Vitet La guêpe, le rêve de Robert Desnos, Légitime Défense, Guillaume Apollinaire, Michel Poniatowski, Jean-Paul Sartre. Une femme est une femme, Masculin Féminin, Tristana, Le testament du Dr Mabuse, Dial M for Murder, L'éclipse, Le parfum de la dame en noir, Underworld USA, Pick Up on South Street, Shock Corridor, Naked Kiss, Le trou, Le testament d'Orphée. Un drame musical instantané M'enfin, Le malheur, inédit de notre grand orchestre ! En fin d'émission nous avions choisi la version de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli de La Marseillaise. Le silence s’installait sur les ondes jusqu’au petit matin.

Le line-up complet d’Un Drame Musical Instantané était :
Jean-Jacques Birgé - synthétiseur PPG Wave 2.2, piano, trombone, trompette, trompette à anche, flûte, guimbarde, percussion
Bernard Vitet - trompette, violon, percussion, piano, trompette à anche, double bombarde
Francis Gorgé - guitare électrique, guitare basse, synthétiseur analogique, flûte, percussion, piano


Lorsque Steven Stapleton nous réclama une pièce pour le disque collectif In Fractured Silence, nous étions si contents de ce que nous avions enregistré pour cette création radiophonique que nous lui proposâmes Tunnel sous la Manche (Under The Channel). D’une part je laisse à Steven le soin de raconter comment il nous avait choisis, et d’autre part je ne pense pas que le morceau s’appelait ainsi à l’origine, mais j’ai oublié. Tout cela est très loin. C’était il y a quarante ans. Notre mauvais esprit nous fit renommer ce titre, probablement pour nous moquer des préjugés des Anglais, appelés de notre côté « l’ennemi héréditaire », envers les Français. Avec le même humour Francis dessina une carte où l’Angleterre n’était plus une île, et nous avons imaginé des villes nouvelles comme Garlic, New Wave, Drame, Port-Franc, Moutonville... Je me souvenais d’une vieille une du Times, "Tempête sur la Manche, continent isolé". In Fractured Silence fut publié en 1984, mais les quatre pièces figurent en bonus du CD Rideau !, publié par le label autrichien KlangGalerie en 2017, mais aujourd’hui déjà épuisé. La version de Tunnel sous la Manche y est d’ailleurs un peu plus longue, puisqu’elle dure 14 minutes au lieu des 12 minutes enregistrées sur United Dairies. J’avais probablement coupé quelque chose pour respecter la durée de la face.

Pour commenter Tunnel sous la Manche (Under The Channel), je suis obligé de le réécouter. Je me souviens seulement que chaque fois que nous jouions à Radio France nous en profitions pour demander le piano Bösendorfer Imperial qui possède neuf touches de plus dans les graves et coûte la somme rondelette de 200 000€, des percussions tels la grosse caisse symphonique, le tam tam symphonique, des cloches plaques, et des bruiteurs comme la machine à vent. J’avais également apporté un enregistrement de la bande-son du fabuleux film de Jacques Becker, Le trou, qui conte le récit d’une évasion de la prison de La Santé à Paris. À mes débuts la vidéo n’existait pas. Il n’y avait pas encore la VHS. Pour garder un souvenir des films j’enregistrais le son des films dans les salles de cinéma ou à la télévision avec un magnétophone à cassettes portable.


La pièce commence avec Bernard Vitet au piano tandis que je joue sur mon PPG Wave 2.2, un synthétiseur numérique allemand, fonctionnant sur des tables d’ondes, qui n’était pas encore à la norme Midi. Le Midi arrivera pour moi avec l’avènement du DX7 de Yamaha. Par la suite je n’ai jamais retrouvé la transparence sonore du PPG avec aucun autre instrument. Je l’ai toujours, même si je ne m’en sers vraiment pas souvent. Je joue en même temps de la flûte, fidèle à mon côté Shiva ou Kali. Francis est évidemment à la guitare électrique. Nous jouons d’abord selon le principe des blocs entrecoupés de silences. Je remarque la grande complicité entre nous, une manière d’être soi et ensemble. C’est ce qui m’a toujours fasciné avec Francis, capable de rattraper les pires balles que je lui lançais. Quant à Bernard, il nous avait appris le silence. C’est amusant de constater qu’il ne joue ici jamais de trompette, alors que c’est évidemment son instrument de prédilection. Je lance la bande du Trou qui commence par des coups de marteau sur un pieu pour creuser le tunnel tandis que je frappe mon clavier. Les dialogues du film collent à une sorte d’auto-description du Drame : « - Vous savez que ce n’est pas possible – Mais si justement c’est ce qui va nous sauver, c’est le bruit ! ». Je change de registre, passant de pseudos cuivres à des grandes orgues. Francis prend une flûte et moi ma trompette de poche, ce qui n’est pas notre habitude, ni à lui, ni à moi. Coup de gong de Francis et cloches plaques. Bernard était fan de Thelonious Monk et Anton Webern. Je prends un son de vibraphone. Je pense qu’un des acteurs dit « Vas-y Jo ! », mais j’entends « Vas-y, joue ! ». Les percussions et le piano se mélangent au bruits des prisonniers qui creusent. Nous suivons l’action en articulant le jeu. Francis attrape un bottleneck. Je laisse courir la bande. Bernard passe à son tour aux percussions. Nous respirons. Retour du piano, de la guitare et du PPG. Francis double avec un synthétiseur analogique. C’est terminé.

Depuis le début de notre rencontre à tous les trois, lorsque je nous écoute je suis surpris par la liberté que nous nous octroyons et par la maîtrise du temps et des structures, à tel point que nous refuserons le terme galvaudé d’improvisation pour celui de composition instantanée. L’improvisation c’est réduire au maximum le temps entre la conception et l’interprétation. À la même époque nous composons essentiellement pour notre grand orchestre. J’avais tenté d’appliquer les règles du trio à l’ensemble, mais cela ne fonctionnait pas. J’étais catastrophé par le nombre de poncifs que l’improvisation collective générait. Nous avons donc écrit de plus en plus à partir de là, histoire d’expérimenter de nouvelles choses. Lorsque nous nous retrouvions en trio ou en petit comité, avec Hélène Sage ou Gérard Siracusa par exemple, nous laissions faire l’inspiration du moment, mais de plus en plus nous avions une trame narrative ou des rôles à assumer comme lorsque nous accompagnions des films muets.


En lisant les notes de Steven Stapleton sur la réédition du Souffle Continu j’ai découvert les circonstances de tout cela que j’avais totalement oubliées. Nous avons renoué tous les deux et Steven vient de me demander un remix d’une de ses compositions pour un coffret de Nurse With Wound à paraître en 2024. De mon côté j’ai recommencé à enregistrer et jouer avec Francis et nous avons ressuscité Un Drame Musical Instantané que j’avais dissous en 2008, cinq ans avant la mort de Bernard qui avait déjà arrêté la scène en 2000. Le CD Plumes et poils enregistré avec l’écrivain Dominique Meens est sorti en 2022, et Francis et moi préparons un nouvel album autour de Philip K. Dick pour 2024.

Photo sur la Petite Ceinture, Paris © Marie-Jésus Diaz, 1983


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