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Le rocher Percé et son histoire

Le rocher Percé et son histoire (récit de l’abbé C. – E. Roy)

« Un autre tas de roches… de haut intérêt, auquel la Gaspésie doit surtout d’être célèbre » (Juge Pouliot). Vrai monolithe aux proportions imposantes, percé d’un trou et doublé d’une réplique en miniature qu’il traîne en remorque et qu’on appelle « l’obélisque ».

1,420 Pieds de longueur (1,565, y compris l’obélisque); 300 pieds à sa plus grande largeur; 288 pieds de hauteur à sa pointe ouest, la plus élevée, où un V se creuse d’année en année – le V pour victoire de M. Churchill; 215 pieds au-dessus du trou et 154 pieds à sa pointe est.

Sorte de bateau – fantôme contournant la pointe du Mont-Joli pour donner de la proue en direction de ‘Anse-du-Nord… qu’une torpille magique a traversé de part en part, près de la poupe et a laissé avec une ouverture béante de quelque 100 pieds de largeur par 60 pieds de hauteur… et qui, refusant de couler à fond, s’est raidi dans la fierté humiliée pour braver la mer et les vents, et causer à travers les siècles l’étonnement du passant.

La pesanteur de sa masse au-dessus de l’eau a été évaluée à 4,000,000 de tonnes. La mer et la gelée de grugent graduellement. Comme toutefois cette désagrégation procède à un rythme moyen de 300 tonnes par année, le touriste est assuré d’en voir quelque chose d’ici 13,000 ans encore; d’autant que les agents naturels acharnés à sa destruction semblent avoir terminé la partie principale de leur tâche, avec la chute de la clé de voûte de l’arche qui, jadis, reliait l’obélisque au bloc principal. L’obélisque s’est lui aussi paré d’un trou, à angle droit avec celui du bloc principal.

Une batture, que la marée basse dégage complètement, le relie au Mont-Joli : cette même batture qui, au temps de Cartier, s’élevait en cran et émergeait même à marée haute. À marée basse, une grève faite de sable et de batture émerge tout à l’entoure, permettant au curieux de le contourner jusqu’à pied sec…. à moins que l’impression de crainte décrite par le professeur Béchard, en 1857, ne s’empare de lui : « Vous vous sentez mal à l’aise, écrit-il, lorsque, marchant au pied de ce Rocher altier, vous jetez la vue au-dessus de vous et apercevez, suspendue sur votre tête, cette masse énorme qui semble vouloir vous écraser. »

À marée basse, on peut passer sous l’arche à pied sec. À marée haute, même une barge à voiles pourrait y passer, si le fond était déblayé des blocs immenses de pierre qui s’en sont détachés et en obstruent l’entrée. Observation intéressante : sous l’arche, l’air est beaucoup plus frais qu’à l’extérieur et l’on se sent pris de frissons… de froid et de… frayeur, quand on y pénètre pour la première fois. Cette « gueule béante, selon le professeurs Béchard, aurait fourni une belle description à Virgile pour son entrée aux enfers. »

Les fossiles abondent dans la formation géologique du Rocher : brachiopodes d’espèces variées, buvables, patelles, buccins et trilobites. Clarke, qui qualifie lui-même ses estimés d’absurdement petits, évalue à plus de 4,000,000 le nombre d’individus de l’espèce gracieuse de brachiopode appelée Chonetes Canadensis, qui s’y trouve pétrifiés. Le même géologue y signale l’existence de trilobites géants atteignant jusqu’à deux pieds de longueur (Dalmanites Perceensis) et d’autres, au nez surmonté d’un trident (Dalmanites Biardi). « Que cela suffise, conclut le savant géologue, pour nous donner une idée de l’énorme profusion de vie que représente ce petit coin du lit préhistorique de l’Océan et qui ajoute une note intéressante à cet endroit déjà si riche naturellement. Le nombre de morues prises depuis l’établissement des pêches gaspésiennes, qui atteindrait facilement quelques milliards, est encore inférieur à celui des animaux pétrifiés dans le Rocher Percé. » Imaginons, si possible, une procession où tous ces êtres chemineraient deux par deux… ou même quatre par quatre : Noé lui-même en serait tout abasourdi.

Le Rocher a toujours été et est encore aujourd’hui, pour les pêcheurs et les navigateurs, un excellent abri contre les vents de nord et nord-est, sud et sud-ouest; il leur suffit de se réfugier, selon le cas, dans, l’Anse-du-Sud ou dans l’Anse-du-Nord. C’est précisément à l’abri du rocher et de l’île que les 12 et juillet 1534, Jacques Cartier vint chercher refuge contre une tempête de « nordais».

Le Rocher ne frappe pas la vue de si loin que le Mont-Sainte-Anne. L’œil n’en est que plus émerveillé lorsqu’il l’aperçoit, au détour du Cap-Blanc et de la Pointe-Saint-Pierre, ou de la Grand’Côte et du Pic-de-l’Aurore; cet émerveillement grandit, à mesure qu’on en approche, non pas tant à cause des proportions imposantes du Rocher qu’à cause de la symphonie de ses couleurs brillantes «  rouge pourpre, gris bleu, jaune clair, qui caractérisent sa formation calcaire, mais ici largement striées de veine de calcaire blanc. Ajoutez à cela le tapis de mousse verdoyante qui recouvre sa tête ondulée et la couronne de lichen rouge orange qui surmonte son front » (Clarke).

Le sommet du Rocher Est Inaccessible à l’homme. La tradition s’est affirmée que, jusque vers 1859, quelques hardis fermiers y grimpaient pour recueillir le foin qui y poussait. Un imprudent se serait alors tué et l’ascension en aurait été pour cela défendue… C’est possible! Il y a toutefois lieu d’en douter.

Outre, en effet, que les anciens n’en disent rien (cette tradition remonte à 1850 et semble reposer sur des ouï-dire), les récits de ceux qui vraisemblablement en auraient eu connaissance no concordent pas. Les uns parlent de corde attachée au sommet; d’autres, de rames aboutées les unes aux autres… Mais comment les téméraires grimpeurs auraient-ils fait tenir tout cela? Légende inventée pour amuser l’étranger en quête d’émotions, tout autant semble-t-il que celles du Génie de Rocher et des combats homériques que se seraient livrés jadis les oiseaux qui l’habitent, et que Pye et Lemoyne sont les premiers à raconter au long. « MM. Moriarty et Dugai, écrit Pye, en entreprirent l’ascension en 1818. Une fois sur le sommet, ils y fixèrent une corde solide, dont on se servit par la suite pour continuer à grimper… On y récolta jusqu’à trois tonnes de foin par année. » Lemoyne donne 1805. Aussi fantastique que de vouloir transporter le Rocher dans la Baie de New York pour le transformer en Hôtel de la Liberté.

Si le sommet du Rocher est inaccessible à l’homme, il est par contre peuplé d’une multitude d’oiseaux : c’est le paradis des cormorans et des goélands bleus (ordinaires).

Disons enfin que le Rocher a toujours été un objet de fascination indescriptible. « Cette vue, écrit Pye, représente pour le marin et le voyageur un des objets les plus remarquables de toute la côte canadienne… un des monuments les plus extraordinaires de l’architecte tout puissant. » Comment après cela se surprendre du grand nombre d’artistes qui l’ont couché sur leur chevalet?

Qu’il s’y attache quelques légendes, rien de plus naturel. Ainsi, ce matelot qui, épris d’une brunette de Percé, aurait, pour dépister les recherches du Capitaine et échapper aux coups de feu tirés pour l’effrayer, cherché refuge sur son sommet et n’en serait redescendu qu’après le départ de son bateau pour convivre en justes noces avec Brunette… Charmant, mais légendaire.

Le trou du Rocher a lui aussi son histoire, ou ses histoires. Combien de trous a-t-il vraiment eus, un, deux, trois ou quatre? Dans son récit de voyage de 1603, Champlain parle d’un trou seulement : « On vint à l’isle Percé, qui est comme un rocher fort haut… où il y a UN trou… »

Nicolas Denys mentionne en 1672 qu’il l’a vu (à son premier voyage probablement), alors qu’il n’avait qu’une arche mais que, depuis, il s’en est formé deux autres qui vont en agrandissant. De son côté, le Père LeClercq parle, en 1675, des trois ou quatre arches du Rocher. Quoi qu’il en soit de ces témoignages, qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute, deux documents établissent à l’évidence que le Rocher eut réellement anciennement deux arches.

Il s’agit de deux dessins : un de 1812, exécuté par S. Owen, de Londres, et l’autre, de 1760, exécuté sur place par le Capitaine Hervey Smyth, Aide-de-Camp de Wolfe. Ce dessin, l’un des sept que Smyth exécuta pendant son séjour au Canada, excita beaucoup la curiosité des Anglais : par suite d’un Acte du Parlement, il fut imprimé et reproduit sur une plaque de cuivre et l’auteur se fit un honneur de placer sa frégate à l’arrière-plan.

L’arche dont parlent Champlain et Denys est-elle celle qui s’est effondrée ou celle que que l’on voit aujourd’hui? Il semble bien qu’il s’agit de la première. Toujours est-il que celle de l’extrémité s’effondra « il y a quatre ans, écrit Béchard en 1857, avec un fracas épouvantable, et heureusement sans causer aucun accident. »

Dans les relations qu’il fit de son voyage en Gaspésie avec Mgr Turgeon, en 1836, l’abbé Ferland entrevoit le jour où, toute arche ayant disparu, « l’isle Percée sera formée de trois immenses colonnes dot le volume pourra rivaliser avec les pyramides d’Égypte ». Ce jour est éloigné, si l’on en juge par les calculs que nous avons faits plus haut. Et « les peintres et les poètes auront bien le temps de naître, de peindre, de rimer et de mourir. » (Bernard).

Curiosité à remarquer : À peu près à mi-chemin en revenant de l’île par le sud-ouest, le profil du rocher décrit assez bien, à un endroit, une figure qui donne l’illusion de celle de la Reine Victoria, et, à un autre endroit, une autre figure qui ressemble à celle de Churchill, moins le cigare… Au touriste à user de son imagination pour distinguer l’une et l’autre.

(Percé, sa nature, son histoire. Abbé C. – E. Roy, Gaspé, 29 janvier 1947. Nihil Obstat Camille Lebel. Imprimatur Albini Leblanc, évêque de Gaspé).

La gravure du capitaine Hervey Smith, mentionnée dans le texte. Image libre de droit.


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