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6 ans après la leucémie

8 mars 2011 - 8 mars 2017:  Cela fait 6 ans que ma vie a changé radicalement.

Il y a des années où j'ai complètement oublié cette date, et des années où cet anniversaire particulier m'a beaucoup marqué, voir affecté. 2017 fait partie de la deuxième catégorie.

Au moment où j'écris ces mots, je suis dans un état vraiment étrange. J'ai mal dormi, je suis extrêmement fatigué, je pourrais m'endormir sur mon clavier. Il me suffit de fermer les yeux et de laisser mon esprit dériver pour me sentir partir en pré-sommeil.

Je suis mélancolique. Je devrais être heureux, mais je suis mélancolique. C'est la fatigue, invariablement, cela me plombe le moral. Je le sais, c'est normal, je me connais, c'est passager. Mes pensées se tournent vers ces êtres humains que j'ai croisé ces dernières années et qui sont malheureusement partis. Le Warrior, Katy... Je n'ose pas prendre des nouvelles de certains d'entre vous, à cause de cela. J'ai peur d'apprendre d'autres terribles nouvelles. Je me demande parfois, pourquoi moi, et pas eux? Je mesure combien je suis passé près de la "catastrophe". J'essaie d'éviter de trop y penser, tellement cela fait froid dans le dos, pourtant cela me rattrape en ce moment et particulièrement un jour comme celui-ci.

Je voulais profiter de cet anniversaire pour vous faire part d'une révélation que j'ai eu récemment, qui concerne mes parents et le rôle qu'ils ont joué lors de la partie la plus "rock&roll" du traitement (la chimio, puis la greffe).

Il faut savoir que j'ai commencé, il y a maintenant plusieurs années, à réécrire des textes du blog pour en faire un livre sur la maladie (ce projet est d'ailleurs en pause par besoin d'arrêter de penser maladie du matin au soir). J'ai transmis à mon père, à sa demande, une copie de travail. Quelques jours plus tard, il m'a demandé de ne pas le faire lire à ma mère. La maladie l'a beaucoup affecté, elle a vraiment eu peur pour moi et il ne voulait pas lui faire revivre ce traumatisme au travers de mon texte, qui est très dur par endroit, beaucoup plus que ce que j'ai pu écrire ici. Sauf que ma mère n'est pas débile, elle a fini par percuter ce qu'il lisait en cachette et l'a lu à son tour, en cachette elle aussi. Pour ne pas inquiéter mon père, forcément. Je vous jure, les messes basses, parfois c'est fatiguant dans cette famille.

Un soir au téléphone, elle me confesse son "méfait". En me demandant de ne pas en parler à mon père, bien sûr (d'ailleurs, je reviens sur cette promesse dans ce post, je réalise à présent). Puis elle me fait la confession suivante:
"Ton texte est incroyablement dur par moments. Je crois qu'on a pas bien réalisé à quel point ce que vous avez vécu a pu être difficile... J'ai peur que l'on ne vous ai pas assez soutenu."

Je ne sais pas si vous vous rendez compte. C'est une pneumologue, qui traite des malades du cancer tous les jours, qui fait cette confession. Elle devrait comprendre mieux que n'importe qui, mais non. Et c'est normal. Il n'y a que les malades et les gens qui vivent avec eux qui peuvent vraiment comprendre. Côtoyer des malades dans la vie de tous les jours ne suffit pas.

Pour ne rien arranger, comme on communiquait essentiellement par Skype, j'essayais toujours de faire bonne figure, de ne pas trop inquiéter. La culture des messes basses de la famille, encore une fois, moi aussi j'en suis coupable; je m'en rends compte. Même lorsque j'avais l'air d'un cadavre j'essayais d'avoir le sourire; de donner le change. Et puis de toute façon, il y a des trucs que l'on ne peut comprendre que si on les vit, ou si on vous les explique sans édulcorer, comme la journée ou j'ai subi des transfusions de 8h du matin à 2h du matin le jour suivant, sans que mes plaquettes n'augmentent jamais, me laissant toute la journée à la merci de la moindre hémorragie. On ne peut pas comprendre l'horreur sous-jacente sans vivre la même chose, je pense. Et comme je faisais attention à bien minimiser l'horreur lorsque je racontais mes journées, ils ne pouvaient pas se rendre compte.

Résultat des courses, oui, j'en ai parfois voulu à mes parents. De ne pas me protéger de leur stress, par exemple. Etant médecins, ils connaissaient tous les risques et bien sûr me donnaient des cours de prudence sanitaire à longueur de coup de téléphone. Grâce à eux, j'ai développé un certain nombre de tocs et de phobies dont j'ai ensuite mis des années à me défaire. Ceci étant dit, remarquons bien que: je n'ai jamais fait d'infection pendant le traitement, contrairement à l'immense majorité des malades que je connais. Comme quoi, leurs conseils ont servi à quelque chose.

Je leur en ai voulu de leur manque de soutient, oui, c'est sur. A plusieurs reprises ils m'ont confronté au fait que la situation était très difficile pour eux, à leur stress, à leurs inquiétudes. J'ai parfois eu l'impression d'être le parent qui s'occupe de ses enfants et qui essaie de gérer les choses pour éviter de les traumatiser, un rôle dont je me serais bien passé à l'époque. J'ai aussi été confronté à leur manque de disponibilité, parfois. Et oui, vous, le malade, vous vous rendez bien compte que s'ils ne vous donnent pas de leur temps maintenant, il sera peut-être trop tard dans quelques jours/semaines... Mais pour les gens qui vivent cela de l'extérieur, c'est difficile à réaliser. Ils ont envie de continuer leur vie normalement, c'est normal. Comme le malade, d'ailleurs, sauf que le malade n'a pas le choix.

Pourtant, malgré cela, j'ai réalisé il y a quelques jours que mes parents m'ont fait un cadeau inestimable dont je ne leur ai jamais parlé, et pour lequel je ne les ai jamais remercié.

Je ne sais pas bien pourquoi, mais j'ai toujours cru que je m'en sortirai. J'ai réellement compris que je risquais de mourir, et cela dès le premier soir, mais j'ai pourtant toujours cru dur comme fer que je m'en sortirai vivant. Et c'est lié à eux, à mes parents, à leur existence et à la conception de la famille qu'ils ont crée et qu'ils m'ont transmis. J'ai du mal à articuler exactement pourquoi, mais je le ressens dans mes tripes.

En fait je crois que je l'ai compris grâce à Virginie.

Virginie est orpheline. Elle a perdu son père étant enfant, et sa mère il y a quelques années. A présent, elle élève sa fille seule. Elle n'a plus de grand-parents non plus (foutu cancer). Pas de famille proche. Orpheline quoi.

Je me rends bien compte du poids qui pèse sur elle, surtout vis-à-vis de sa propre fille. Si elle flanche, sa môme trinque. Elle a un devoir de survie jusqu'à ce que sa fille soit en état de se débrouiller seule, et elle joue sans filet, ce qui crée une pression, un stress permanent.

Par contraste, je sais que malgré tout ce que j'ai pu écrire, lorsque j'ai dit à ma mère, "Là c'est grave, faudrait vraiment que tu viennes." et bien elle était là le jour suivant. Je sais que si je suis vraiment dans la mouise, je pourrais toujours compter sur eux. Oh, ils râleront peut-être, mais ils seront là.

Vous savez, c'est comme lorsque vous avez la grippe. Même à quarante balai, lorsque vous avez la fièvre, explosé sur votre canapé, vous avez une seule envie, que votre maman vienne s'occuper de vous, vous fasse à manger et vous tienne la main en vous disant que cela va aller, comme lorsque vous étiez petit. Quand vous avez toujours vos parents, le seul fait qu'ils existent, même s'ils sont à des milliers de km de distance, c'est déjà un soutient. Au passage, je parle de parents, mais j'entends aussi famille au sens plus large. Frères, sœurs, oncles, cousins, ça marche aussi.

J'ai la chance de les avoir. D'avoir la croyance  -- fausse d'ailleurs, l'adulte qui est en moi s'en rend compte -- que tant qu'ils seront là, tout ira bien.

Quelque part, ils m'ont fait le cadeau inestimable de me permettre, de temps en temps, de me reposer de tout ce stress en retombant en enfance, en déchargeant mon fardeau sur leurs épaules. Pas nécessairement directement d'ailleurs. Il suffit parfois de se dire, "Oh, au pire, Papa connaîtra la réponse à cette question" pour se rassurer.

Sur un plan un peu plus pragmatique et terre à terre, mes parents m'ont aussi aidé de part leur profession: j'ai toujours eu le sentiment d'être un peu spécial dans le milieu hospitalier. Comme ils sont médecins, cela a toujours facilité la communication avec les équipes médicales, cela a aussi facilité mes propres prises de décisions car j'ai pu prendre des avis éclairés, me faire expliquer des choses... L'avis d'une personne en qui vous avez confiance, dans cette situation, c'est inestimable vous savez. D'ailleurs, quand je vois à quel point certaines décisions ont été compliquées alors que je suis fourni avec un cerveau en relativement bon état de marche, une éducation décente  et que j'ai des parents médecins en support, je me dis qu'il y a des gens qui n'ont pas l'un ou l'autre (ou plusieurs) de ces composants qui doivent sérieusement en baver.

C'est bizarre, parce que c'est de m'occuper de J, la fille de Virginie, de réaliser que nous trois formions une famille, et de décanter les implications que cela a qui m'a permis de comprendre ce que je viens de vous raconter.

Voilà, je vais abréger un peu.
En ce jour d'anniversaire, j'ai une pensée pour tous les parents qui se battent pour un de leurs enfants. J'ai aussi une pensée pour la famille de Celia qui m'a accueilli à bras ouverts et qui m'a énormément soutenu. Pour Celia, sans qui je ne serais pas là aujourd'hui. Nos chemins se sont séparés, c'est comme cela. Aujourd'hui nous sommes tous deux heureux, c'est le principal.
Une pensée pour mes parents, bien évidement, relisez le post si vous n'avez pas compris pourquoi.
Enfin, une pensée particulière pour Virginie (et Julie). Nous trois, nous sommes une famille, et vous faites aussi maintenant partie de la mienne, soyez en bien persuadées. On est un peu cons et taiseux de part chez nous, c'est le sang normand, mais nous sommes toujours là les uns pour les autres au final.



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