Les
souvenirs m’inondent. Devant moi, éparpillées, reposent des feuilles de papier
blanches. Je regarde des jeux de lumières dansant dans ma chambre et je vois,
j’aperçois en eux tout un passé, toute une vie. Mon passé. Ma vie. L’incroyable
clarté d’un temps disparu et oublié m’aveugle. Je ferme les yeux. Quelque chose
en moi se brise. Des souvenirs, des visages, des paroles… depuis longtemps
oubliés, relégués dans un coin sombre et éloigné de ma conscience se ravivent.
Je les sens, je les entends, je peux les toucher, tellement ils sont près de
moi, en moi. Je les aime… je les hais. J’ai toujours détesté ces sentiments
ambigus que l’Est m’inspirait …et je les ai adorés - la vie diaprée des vents
d’amont. Souvent, je me suis demandée pourquoi nous, les gens de l’Est, sommes
si féroces et si doux à la fois, si puissants et pourtant si faibles. Je
souris. Brosser un portrait du peuple slave est un travail qui me dépasse. Je
n’insulte pas mon intelligence, mais s’aventurer dans un territoire pareil est
quelque chose que très peu de gens pourraient faire avec succès. Je me
contenterai de deviner.
Si
je devais décrire le peuple slave en un mot, je dirais - PASSION. Passion de
vivre, passion de mourir, de recevoir et de donner, de créer et de détruire.
Quelqu’un dirait que c’est sauvage, moi, je dirais que c’est le cycle même de
la vie. La spirale de notre existence. Comme le phénix de ses cendres, les
Slaves meurent mais seulement pour renaître, plus forts, plus puissants que
jamais et cela depuis des siècles. Insaisissables, incompréhensibles, ils
représentent une éternelle énigme autant pour le reste du monde que pour
eux-mêmes. Qui comprendrait un peuple destructeur dont la plus grande qualité
est la joie de vivre ?
A
la croisée de plusieurs traditions et influences, les Slaves vivent dans une
dimension où le paysage culturel est tantôt opaque tantôt diaphane. Ils s’y
perdent sans jamais se retrouver, ou se retrouvent pour se quitter aussitôt,
dans un jeu de cache-cache interminable. Peut-être ils n’ont jamais appris à
réconcilier différentes influences en eux, peut-être ils ont besoin de ce chaos
pour entretenir une vie intérieure riche, riche en émotions, riche en sens. C’est
peut-être là où gît la raison de l’exubérent
nationalisme romantique qui est devenu la berceuse de toute une gamme
de générations.
Quiconque
veut les connaître et les comprendre doit d’abord les aimer. Chose curieuse car
normalement le processus est inverse. On voit, entend, comprend pour apprendre
ensuite à aimer. Le Slave est impénétrable. Il ne fait partie d’aucun schéma
préconçu, ne se plie à aucune formule de comportement adoptée par les autres. Il
est individualiste, aliéniste, sauvage. Il est Slave.
Et chacun qui souhaite le connaître doit sentir
d’abord en soi-même une profonde
attirance vers ce peuple froid et passionné dont la vie est jalonnée par
des contradictions qui s’annihilent, se réconcilient et se complémentent de la
plus étrange façon.
J’aime ce peuple. J’aime
l’odeur qu’il dégage. L’odeur du passé qui se mélange à celui du présent
laissant deviner à quoi ressemblera celui de l’avenir. Le parfum mystérieux de
l’âme slave. Maintes fois je l’ai senti dans mes narines, ensuite. Maintes fois
j’ai essayé de le garder.
Fuir.
Fuir ces sensations dangereuses, envahissantes, qui pèsent. Etre au calme, être
serein, loin de cette force de vivre qui engloutit et fait disparaître, loin de
la mort, de la destruction, des combats…loin des Balkans. Loin des Balkans.
Mais
comment ? Que faire pour extirper de soi l’héritage de toute une lignée d’ancêtres ?
Se déraciner. Quelle trahison. Ne sommes-nous pas tous réceptacle d’un même
héritage collectif et inconscient qui nous a été légué par nos anciens ? On
ne peut pas fuir soi-même, ce qu’on est au plus profond de son être. Chaque
tentative est vouée à l’échec.
Les images se succèdent de ma
vie d’antan. J’essaye de saisir le vicieux jeu d’un instant passé. Je ne
réussis qu’à le rendre encore plus fuyant. Ce jeu, c’est le combat sempiternel
à l’intérieur de moi, présent en doses mortelles dans mon peuple.
Ne
donna-t-il pas le nom à toute cette partie du monde ? BAL - KAN. SANG
ET MIEL. Il faudrait remercier aux Ottomans l’étymologie du mot. Ils nous ont
bien baptisés. En même temps ils y sont pour quelque chose dans la formation du
caractère rude, résistent et inflexible des
Slaves. Il ne faut pas tout de même suraccentuer leur importance. Certes, ils
ont orientalisé la culture des Balkans mais ils ont aussi rendue l’Asie plus
moderne quoiqu’il soit impossible de savoir dans quelle mesure. Les orthodoxes
ont eu une autonomie assez large dans le domaine du droit et de
l’administration, de la religion aussi.
On dit que les Slaves sont des pessimistes heureux. Leur art est tout en
mélancolie, tristesse, sensibilité exacerbée qu’ils cachent. Ils rient et
pleurent à la fois sans pourtant être fous. Ils prient orgueilleusement, se
plient et se soumettent fièrement, tournent la défaite collective en victoire
individualisée. La faiblesse même ainsi présentée devient force, devient
pouvoir, devient dépit. Le Slave, mais plus précisément le Serbe est un être
individualiste, si individualiste qu’il peut s’égarer et devenir aliéniste sans
s’en rendre compte. Le peuple auquel j’appartiens est très peu solidaire. Le
mot « pourquoi » brûle toutes les lèvres car on essaye de
comprendre ; et « on » sont aussi bien les étrangers que les
Serbes mêmes. Pourquoi les Serbes si fiers de ce qu’ils sont, si
idéologiquement plongés dans ce nationalisme romantique qui est la cause de
leur perte sont en fin de compte si peu unis, si peu solidaires ? Dans mon pays nous appelons cela « le
syndrome de la maison au bord du chemin » selon l’expression venant de notre célèbre écrivain Ivo Andric,
receveur du prix Nobel. Nous vivons au carrefour du vieux monde. Nous subissons
des influences les plus diverses venant de toutes les parties du globe. Nous
sommes des canaux par lesquels passent des courants culturels les plus
étranges. Le point médian entre le vieux et le nouveau monde, Byzance et Rome,
l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, le Bien et le Mal. Les Balkans. Ils
flirtent avec les uns et les autres. Les influences religieuses, spirituelles,
culturelles, géopolitiques qui nous transpercent ont un ascendant important sur
notre comportement et notre manière d’être. Etant donné leur nature
contradictoire nous n’avons jamais vraiment appris comment les gérer. C’est
pour cela que nous engendrons des conflits étant nous-mêmes essentiellement
conflictuels. La réalité que nous créons n’est jamais autre chose que le miroir
déformé de notre propre nature profonde. Ajoutons à cela la lutte frénétique de
la conservation de l’identité nationale en permanence menacée par ces mêmes
influences citées ci-dessus et l’on obtient un mélange hétérogène de l’envie de
rester dans la société moderne assimilant toutes les différences mais en
préservant l’intégrité du peuple. Dans le combat que ce peuple mène avec lui-même
disparaît le sens des petites différences qui deviennent et restent cruciales
et il ne se demande jamais ce qu’il peut perdre mais comment il pourrait
gagner. C’est la malédiction d’un petits pays qui veut être grand. Là-bas, nous
sommes tous brassés, mélangés, identiques, mais il ne faut surtout pas le dire
à voix haute si l’on tient à sa vie. Cela représenterait une attaque directe à
l’identité nationale et comme notre peuple n’a jamais vécu dans l’opulence et
que son système des valeurs ne ressemble à aucun autre il ne leur reste qu’une
seule chose à laquelle s’accrocher – la fierté nationale ou le nationalisme
tout simplement.
Le
Serbe, pour toutes ces raisons-là, a un refus du compromis profondément
enraciné en lui. C’est un peuple
révolutionnaire. Vous lui donnez l’occasion, il fera trois révolutions par
jour, une première le matin, une deuxième dans l’après-midi et une troisième le
soir. En dépit de son pouvoir d’adaptation hors du commun, les Serbes ne se
sont jamais vraiment accoutumés à la pluralité démocratique. On dit que cela est
dû à la transition politique et économique douloureuse mais ils ont toujours
été dans la transition et ils le seront toujours.
Prenons pour exemple le régime
communiste qui a attardé le pays de
quelques décennies quoiqu’il ait arrangé certains problèmes. Un professeur
d’histoire à Montréal et expert en « question balkanique » a
longtemps étudié le phénomène.
Après
la deuxième guerre mondiale le capitalisme a connut son essor. Il doit sa
popularité avant tout à la certitude qu’il inspirait aux gens fatigués des
combats et de la lutte incertaine pour l’avenir. Ses promesses d’une société
adaptée aux besoins de l’homme ordinaire, son encouragement à la collectivité,
son idéalisme étaient tellement attirants au point d’être irrésistibles. Le
capitalisme a mené à bien ses grands projets mais à moyen terme. La démocratie
et la liberté d’expression ont cédé la place à la discipline idéologique et à
la censure, cruelle et répressive. « Goli otok » ,
« le goulag de Tito » ou « l’enfer dans l’Adriatique » servait
de remplacement à la thalasso et aux séjours paradisiaques à tous ceux qui
s’insurgeaient contre le régime, par un geste, par un mot d’esprit ou par une tentative
quelconque de le critiquer.
D’un autre côté on ne peut pas fermer
les yeux devant le fait qu’il avait apaisé les luttes nationalistes, la
conscience de la classe et avait stabilisé la région. Mais faute de capital et
d’esprit d’entreprise qui représentaient un grand handicap de cette zone
industrielle, les mesures staliniennes se sont implantées. L’Europe de l’Est,
cette belle région où les espoirs démesurés ont toujours trouvé sa place sous
le soleil, est devenue cynique et amère car déçue. Déçue de ses idéaux, de son
nationalisme romantique si grandiose, dramatique et grotesque. Déçue par des
mesures staliniennes oppressantes qui étouffaient toute liberté et toute
création à quelque niveau que ce soit. Alors, les jeunes intellectuels de l’Est
ont commencé à partir en laissant les pays à leurs bouchers qui n’arrêtaient
pas de rejeter la responsabilité de leurs échecs aux traîtres, aux émigrants et
aux voisins au lieu d’accuser leur propre incapacité et stupidité.
Voilà l’une des raisons de nos
états sauvages qui font toute notre gloire. Que faire ? Que dire après
tout cela ? Y a-t-il un moyen d’y remédier ? Oui. Peut-être.
Peut-être il y en a un. Il y en a même plusieurs. Et comme le talent principal
d’un Serbe consiste dans le fait de métamorphoser la défaite en victoire et la
tristesse en joie grâce à son invincible optimisme pessimiste, il a réussi à
transposer la douleur en art, « le mal du siècle » en musique et
paroles. Pendant que la guerre sévit et seulement les « happy few »
mangent à leur faim, toute la nation chante devant leurs petits écrans écoutant
et regardant leur « stars nationales » préférées. Je me suis
particulièrement intéressée à ce phénomène et ai essayé de le comprendre. Le
langage de la musique parle à travers des sons anciens, des symboles, des archétypes.
C’st le pathos et l’éthos d’une tribu, d’un peuple. La musique ethno révèle
leur âme. Le « mélos » slave est toujours reconnaissable à sa
douleur et à sa tristesse mais aussi à sa joie et à son allégresse. Toujours,
répétons-le, crucifié entre le courant rationaliste occidental et
l’irrationalisme oriental, cet esprit vacille en permanence. Essayer de les
réconcilier ne représente que le premier pas dans une série de tentatives
avortées ayant pour but de rapprocher deux pôles d’électricité opposée et qui
ont bien souvent pour conséquence un court-circuit. Le doux mysticisme oriental
et le raisonnement moderne se heurtent dans l’esprit de ces gens. Ils ne sont
pas assez rationnels pour brider leurs passions et leurs émotions et les
canaliser de manière créative vers une autre direction mais ils ne sont pas non
plus suffisamment « orientaux « pour ne s’adonner qu’à la méditation
et à la contemplation et devenir des "sages". Ce heurt fait notre Golfe de Gascogne, le triangle des
Bermudes, une caractérologie diamétrale, un itinéraire dangereux pour chacun
qui s’y rend d’une manière ou d’une autre, pour une raison ou une autre. La mer
balkanique ne se tient jamais tranquille quoiqu’elle semble parfois dormir. C’est
le sceau spirituel de cette contrée du monde. Il s’agit d’une région
éternellement transitoire, le point de rencontre de toutes les oppositions. La
mise en équilibre de ces différents principes mentaux est un vrai exploit et
n’est possible qu’au moyen de l’éveil de la conscience et de l’intégration des
opposés dans une forme d’esprit plus raffinée, sublimé, en essayant de
l’encadrer dans une mentalité dominante : occidentale ou orientale.
Malheureusement, la symbiose n’est pas possible entre l’Occident en tant que
symbole technique et pragmatique et l’Orient qui est plutôt intuitif et enclin
au fatalisme. L’Occident représente le figure du père, l’Orient celle de la
mère. La fusion multi culturale de plusieurs siècles a crée un embryon qui
deviendra ensuite un peuple androgyne (dans le sens philosophique du terme), le
nœud spirituel de plusieurs civilisations. L’image du héro qui découle de
l’inconscient collectif de cette nation est un personnage maudit, un éternel
martyre, victime expiatoire consentante entourée de forces maléfiques. Ce héros
on le rencontre dans les chansons de geste serbes, bosniaques, monténégrines,
macédoniennes, dans une faible mesure celles des Croates et des Slovènes. La
musique qui les accompagne est orientale et ne l’est pas, est occidentale et ne
l’est pas. En faite, elle n’est ni l’un ni l’autre mais quelque chose de
complètement différent des deux phénomènes précédents. L’Etat-tampon entre les mondes
disparates afin que leur frottement soit plus supportable et moins douloureux.
Tout cela est dû à la position géostratégique disgrâcieuse de cette partie du
monde. De là vient la tentative de l’Europe d’intégrer la montagneuse péninsule
balkanique dans la famille européenne. Et de là vient toute la peur du
peuple : dans les termes psychologiques cela veut dire essayer d’annihiler
un élément spirituel et créer un autre peuple exemplaire sorti du laboratoire
macabre d’alchimistes européens. Puis, cela voudrait dire exterminer l’élément
oriental au profit de l’élément occidental et nordique. La crainte est d’autant
plus grande que l’individu de l’Europe de l’Est est un métis, une plante rare qui
fleurit à la lisière de deux mondes, seule, unique et différente, intercalée
entre deux civilisations.
La
mélancolie slave n’est pas encore tout à fait élucidée. Elle existe, cela est
sûr, mais dans quelle mesure et dans quelle profondeur ? D’aucuns diraient
qu’elle cohabite avec l’optimisme inné du peuple et qu’ils font ensemble assez
mauvais ménage. Moi je pense que cet optimisme n’est qu’une apparence et découle du
besoin vitale du Serbe d’agir par dépit envers tout le monde ce qui se
répercute surtout sur sa propre vie mais cela, il ne l’a pas encore compris. La
mélancolie slave est incurable, elle se trouve dans le tréfonds de chaque être
habitant sous le firmament délimité par le Caucase, l’Oural et jusqu’au dernier
point géographique des Balkans, en Croatie. Une tristesse profonde et pesante
se dégage de chaque œuvre artistique de ce peuple. La question n’est pas d’où
vient la méchanceté de ce dernier, la vraie question est : « La
méchanceté provient-elle de cette incommensurable tristesse qu’engendre
l’esprit slave ? » Il s’y trouve tout un assemblage de défauts :
vengeance, rancune, vanité, ambition maladive, individualisme insolent …L’Anglais
entre dans la politique avec une certaine réserve et avec le sens de
modération, le Slave du Sud s’y donne entièrement, s’abandonne passionnément à
une idée pour laquelle il se bat pendant un certain temps à l’instar d’un
fanatique, ensuite baisse les bras, renonce… déçu il se laisse aller dans une apathie
politique pour tout ce qui ne touche pas à ses propres intérêts. Seulement
quelques fines nuances séparent le jeune et tenace partisan de l’indifférence
engourdie. Il est aiguillé par deux extrêmes : une foi et un enthousiasme
absolus d’un côté et une grande méfiance et la répugnance de l’autre. Donc,
d’après ces dispositions naturelles, c’est un extrémiste politique. Le slogan
qui l’incitera doit être bien défini et acéré comme son épée, semblable à un
cri de guerre, à même de raviver et ressusciter en lui l’antique combattant.
Tout ce qui semble modéré, même de loin, rationnel, scrupuleux, ne
peut enflammer son tempérament, ne peut même réveiller un simple intérêt si
faible soit-il. Il y a trois raisons pour lesquelles le Slave du Sud agira
politiquement : la question politique touche la racine de son être, touche
à son intérêt personnel et matériel ou concerne ses plus profonds sentiments
traditionnels. De tous les trois, paradoxalement c’est ce dernier qui le fait
agir le plus souvent et le plus rapidement. Pourquoi ? Une question qui
risque de rester sans réponse. Le Serbe n’est pas forcément motivé par
l’argent. Il n’en a jamais eu assez pour qu’il puisse lui manquer. Les
conséquences du régime communiste se voient ici aussi. Le Serbe n’a jamais dû
travailler beaucoup pour gagner sa vie, alors il n’a pas appris à apprécier la
valeur de l’argent. Pour un travail minimum il gagnait un salaire optimum.
C’est pour cela que l’on dit que le communisme a fait beaucoup de faignants et
un monstrueux apparat bureaucratique. D’ailleurs, c’est vrai. Par conséquent,
l’homme de notre peuple a adopté un comportement très léger envers l’argent
pensant que c’était quelque chose qui tombait du ciel, pas nécessairement en
amas mais qui tombait tout de même. Aujourd’hui il commence à comprendre que
cette utopie a fini par s’évaporer et disparaître complètement. Il prend
conscience de la valeur de certaines choses mais doucement et très lentement.
En
ce qui concerne son intérêt personnel, je ne dirais en aucun cas que le Serbe
est un être désintéressé, mais allant d’un extrême à l’autre, il passe de l’égoïste
à quelqu’un de fortement empathique et altruiste quand il s’agit des personnes
qu’il aime. Une fois de plus, il ne sait pas aimer modérément, il le fait
passionnément bien souvent de manière dramatique et théâtrale. Par conséquent
il met les intérêts de ces personnes avant les siens. La raison pour laquelle
il ne s’engagera pas politiquement est que ses intérêts-là sont de nature
différente et sont touchés rarement par la situation politique du moment. Quant
à ses intérêts à lui, il est prêt à se battre dès qu’il a surmonté son inertie
et sa paresse et a trouvé une bonne motivation car le simple fait de pouvoir
changer sa vie, bien souvent, ne lui est pas suffisant. Et c’est là où l’on
arrive à ce moment crucial qui représente la motivation et englobe la troisième
raison d’agir citée plus haut : la conservation de la tradition. Pourquoi
la tradition est-elle si importante pour notre homme
Le Serbe a un très fort instinct de survie nationale. C’est un endroit où il s’abrite pour fuir « l’incompréhension du monde » concernant sa grandeur morale et intellectuelle. Ayant été au fil de l’histoire bien souvent rejeté ou séparé du reste du monde il a appris que l’union fait la force et qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Une certaine forme d’autosuffisance s’est développée et son orgueil inné l’a poussé à se renfermer sur lui-même en déclarant solennellement « qu’il n’avait besoin de personne ». De crainte que le glas ne sonne pour son identité en tant que peuple, il a fait recours à des mesures draconiennes, liés à la violence et à l’agressivité. Son ego, son Moi, son Je national devenu démesuré a pris peur. Il se voyait déjà submergé par de nouveaux courants et nouveau conquérants moraux, religieux, intellectuels, brandissant leur épée terrifiante et éliminant toute la culture et toute l’histoire « d’un vieux peuple » en un tour de main. Il faut agir. L’ego national tout comme l’ego individuel a peur de se diluer et de se fondre dans l’universel car cela signifierait perdre son indépendance, disparaître, cesser d’exister, renoncer à soi et devenir, au pire des cas, esclave de ceux qui sont plus forts et au meilleur des cas, végéter à un niveau inférieur et ne provoquer que de l’indifférence en tout ce qui l’entoure. L’ego national est la conscience que l’on a d’appartenir à un peuple, à un groupe, le sentiment d’une extrême importance pour chaque être humain d’autant plus développé que le sentiment du rejet est ancré. C’est aussi le synonyme de l’auto-préservation qui à son tour impose la protection du territoire et d’intérêts nationaux. Les Serbes se sentent toujours isolés du reste du monde, notamment ces dernières années, ils se sont assignés pour mission de garder coûte que coûte la dignité collective. Mais ils n’ont jamais été plus désunis. C’est le syndrome du paradoxe des deux pages. Recto : « Ce qui est marqué verso est faux ». Verso : »Ce qui est marqué recto est vrai ». Dans cette voie de l’accomplissement d’une nation indépendante et forte chacun est devenu nation pour soi. Tellement il débordait d’enthousiasme et d’orgueil qu’il est devenu enthousiasme et orgueil. A force de ne rien pouvoir faire sans passion et fierté il a fini par les incarner perdant complètement de vue le principe premier. C’est cela un Slave du Sud, passionné, tellement passionné qu’il oublie tout le reste sauf la passion qui devient but pour elle-même, la motrice de chacune de ses actions en autopilotage. Il est toujours en proie à la poussée d’adrénaline qui l’incite à être le plus fort, le premier en tout, le meilleur, le grand leader, peu importe les conséquences. Alors, il place sous un même dénominateur la passion, la violence, la défense des intérêts nationaux et l’ambition personnelle. Dans ce climat tumultueux où ne persistent que de grandes passions, il se retrouve plus tôt ou plus tard consumé par sa propre flamme ce qui ressemble dans une grande mesure à un auto-incendie spontané. Mais c’est le risque à prendre, le prix à payer et le Serbe ne le fait que très volontiers. Parce que c’est un guerrier, un montagnard inflexible et intransigeant avec une conception très patriarcale du monde. Cruelles et bestiales, les traces païennes de son être témoignent d’une grande partie de son cerveau reptilien. Ni le christianisme ni d’autres formes de civilisation n’ont réussi à cultiver ou au moins mitiger ce type de comportement. Bien que cette région soit en grande partie religieusement définie bien souvent cela ne prend qu’un aspect extérieur, une sorte d’identification avec des structures régnantes tandis que dans son for intérieur il reste un rebelle, « haïdouk », « odmetnik » avec un instinct d’indépendance très prononcé. Il est transpercé par le fil de la mi-civilisation. Guerrier téméraire et sans scrupule, il ne tient qu’à l’honneur, qu’au principe, mais son principe. Il ne tient pas compte du moral existant mais en crée un autre, le sien, toujours vaniteux et orgueilleux. Ces hommes sont des figures très masculines, ils sont forts et résistants, dominants avec une sensibilité tant exacerbée qu’occultée. Alors pour mieux les cacher ils recourent à l’autocratisme, à l’obstination, à l’égoïsme et à une expression physique et orale vulgaire. On ne sera pas loin de la vérité en déclarant que ces hommes sont culturellement attardés. Mais il y a un autre type anthropologique, celui qui habite en Slavonie, par exemple, ou en Voivodine, il est d’un tempérament beaucoup plus doux, plus cultivé, plus flexible. Il se caractérise par un certain hédonisme, enclin à la danse et à la musique. Très gaie et docile il est d’une nature extrêmement généreuse, chaleureuse, accueillante. En revanche, on peut remarquer chez lui une forte inertie et l’amour de la routine provinciale.
Le Serbe a un très fort instinct de survie nationale. C’est un endroit où il s’abrite pour fuir « l’incompréhension du monde » concernant sa grandeur morale et intellectuelle. Ayant été au fil de l’histoire bien souvent rejeté ou séparé du reste du monde il a appris que l’union fait la force et qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Une certaine forme d’autosuffisance s’est développée et son orgueil inné l’a poussé à se renfermer sur lui-même en déclarant solennellement « qu’il n’avait besoin de personne ». De crainte que le glas ne sonne pour son identité en tant que peuple, il a fait recours à des mesures draconiennes, liés à la violence et à l’agressivité. Son ego, son Moi, son Je national devenu démesuré a pris peur. Il se voyait déjà submergé par de nouveaux courants et nouveau conquérants moraux, religieux, intellectuels, brandissant leur épée terrifiante et éliminant toute la culture et toute l’histoire « d’un vieux peuple » en un tour de main. Il faut agir. L’ego national tout comme l’ego individuel a peur de se diluer et de se fondre dans l’universel car cela signifierait perdre son indépendance, disparaître, cesser d’exister, renoncer à soi et devenir, au pire des cas, esclave de ceux qui sont plus forts et au meilleur des cas, végéter à un niveau inférieur et ne provoquer que de l’indifférence en tout ce qui l’entoure. L’ego national est la conscience que l’on a d’appartenir à un peuple, à un groupe, le sentiment d’une extrême importance pour chaque être humain d’autant plus développé que le sentiment du rejet est ancré. C’est aussi le synonyme de l’auto-préservation qui à son tour impose la protection du territoire et d’intérêts nationaux. Les Serbes se sentent toujours isolés du reste du monde, notamment ces dernières années, ils se sont assignés pour mission de garder coûte que coûte la dignité collective. Mais ils n’ont jamais été plus désunis. C’est le syndrome du paradoxe des deux pages. Recto : « Ce qui est marqué verso est faux ». Verso : »Ce qui est marqué recto est vrai ». Dans cette voie de l’accomplissement d’une nation indépendante et forte chacun est devenu nation pour soi. Tellement il débordait d’enthousiasme et d’orgueil qu’il est devenu enthousiasme et orgueil. A force de ne rien pouvoir faire sans passion et fierté il a fini par les incarner perdant complètement de vue le principe premier. C’est cela un Slave du Sud, passionné, tellement passionné qu’il oublie tout le reste sauf la passion qui devient but pour elle-même, la motrice de chacune de ses actions en autopilotage. Il est toujours en proie à la poussée d’adrénaline qui l’incite à être le plus fort, le premier en tout, le meilleur, le grand leader, peu importe les conséquences. Alors, il place sous un même dénominateur la passion, la violence, la défense des intérêts nationaux et l’ambition personnelle. Dans ce climat tumultueux où ne persistent que de grandes passions, il se retrouve plus tôt ou plus tard consumé par sa propre flamme ce qui ressemble dans une grande mesure à un auto-incendie spontané. Mais c’est le risque à prendre, le prix à payer et le Serbe ne le fait que très volontiers. Parce que c’est un guerrier, un montagnard inflexible et intransigeant avec une conception très patriarcale du monde. Cruelles et bestiales, les traces païennes de son être témoignent d’une grande partie de son cerveau reptilien. Ni le christianisme ni d’autres formes de civilisation n’ont réussi à cultiver ou au moins mitiger ce type de comportement. Bien que cette région soit en grande partie religieusement définie bien souvent cela ne prend qu’un aspect extérieur, une sorte d’identification avec des structures régnantes tandis que dans son for intérieur il reste un rebelle, « haïdouk », « odmetnik » avec un instinct d’indépendance très prononcé. Il est transpercé par le fil de la mi-civilisation. Guerrier téméraire et sans scrupule, il ne tient qu’à l’honneur, qu’au principe, mais son principe. Il ne tient pas compte du moral existant mais en crée un autre, le sien, toujours vaniteux et orgueilleux. Ces hommes sont des figures très masculines, ils sont forts et résistants, dominants avec une sensibilité tant exacerbée qu’occultée. Alors pour mieux les cacher ils recourent à l’autocratisme, à l’obstination, à l’égoïsme et à une expression physique et orale vulgaire. On ne sera pas loin de la vérité en déclarant que ces hommes sont culturellement attardés. Mais il y a un autre type anthropologique, celui qui habite en Slavonie, par exemple, ou en Voivodine, il est d’un tempérament beaucoup plus doux, plus cultivé, plus flexible. Il se caractérise par un certain hédonisme, enclin à la danse et à la musique. Très gaie et docile il est d’une nature extrêmement généreuse, chaleureuse, accueillante. En revanche, on peut remarquer chez lui une forte inertie et l’amour de la routine provinciale.
L’idéologie religieuse,
éthique et sociale a souvent montré un esprit négatif et oppositionnel, contre
l’Etat notamment : citons ici les Cathares (le bogomilisme a pris son
essor dans les Balkans, en Bulgarie), le tolstoïsme… Tolstoï et Dostoïevski
sont l’expression la plus philosophique de l’esprit asocial de ce peuple, pour qui
l’Etat n’est que la forme d’une violence organisée.
Les Slaves ont malgré tout la
fibre altruiste et humaniste, si incroyable que cela puisse paraître. Cependant
leur inclination vers l’individualisme et l’anarchisme n’est pas compatible
avec la forme plus élevée de l’agrégation sociale que nous appelons la
citoyenneté. Il est à noter qu’il existe une certaine propulsion à la
résignation devant les éléments lorsque ils se déchaînent et un grand manque du
sens de l’organisation d’où le chaos déterministe et le très célèbre nihilisme
slave qui caractérisent surtout les Slaves du Sud et les Russes. Rappelons-nous
Bazarov, le héro des « Pères et fils » de Tourgueniev ! Le
nihilisme est une plante qui pousse naturellement dans l’âme slave. Elle n’a
pas besoin d’être soigné, cultivé... c’est une mauvaise herbe. Le nihilisme est
responsable de notre esprit révolutionnaire toujours en activité, éternellement
mécontent de tout contrairement au peuple nordique par exemple qui privilégie
la discipline, l’ordre, le travail, avec le stoïcisme pour philosophie et avec
un certain mépris pour l’émotion, l’intuition et la passivité physique. Ils
concentrent toutes leurs forces psychiques sur l’action. Leur nature est
obéissante et prompte à se soumettre à une forte organisation, pensant que
l’Etat est au-dessus de l’individu, l’intérêt collectif au-delà de l’intérêt
personnel, où le Moi est assimilé et soumis à un Moi élevé au niveau d’Etat. L’Allemand a une
conscience totalitaire, militariste, mécaniquement précise et efficace. C’est
un soldat. Le Slave est anarchiste, romantique, instinctif, guérilléro,
franc-tireur, toujours contre le
système. Et il est expressif, tant dans ses faits et gestes que dans sa façon
de parler, d’aimer…de haïr. Même son expression religieuse est extatique bien
qu’il ne soit jamais un fanatique. Lorsqu’il parle, le Russe est enivré, il est
frère de tout le monde, ami, il sent l’humanité entière comme sa famille.
L’homme du Nord est froid, calme, inexpressif, conquérant, en permanente
recherche du nouveau territoire où il pourrait s’installer et non seulement
physiquement, mais aussi mentalement, d’où son esprit d’innovation sur le plan
technique, en grande partie conditionné par la géographie et le climat plutôt
monotone et morose. La Sibérie est souvent regardée de manière hostile mais
le Russe qui y habite est toutefois chaleureux et empathique, altruiste. Le
peuple balte est un peu spécial car il représente le brassage d’éléments
nordique et slave dû à la synergie culturelle et sociale des deux cercles. D’un
coté ils sont dépourvus de passion et de tempérament et leur raisonnement
analytique et critique offense parfois l’altruisme d’un méditerranéen.
Celui-ci est un acteur, celui-là est un observateur, sa fantaisie est lente
mais audacieuse, solide et constante. La passion existe mais elle est toujours
au service de la volonté à savoir délibérément canalisée vers le progrès et la
création. Taciturne, l’homme du nord est rarement très extraverti et
communicatif à la différence de ses frères Slaves et méditerranéens qui le sont
à l’excès jusqu’à devenir mélodramatiques. Le désir d’une vie familiale
tranquille et paisible va de pair avec cette exubérance sur le plan social, on
dirait que de cette manière-là le Slave équilibre sa vie. Il ne souhaite pas
gouverner les autres peuple ou les conquérir mais ne veut pas être gouverné et
subjuguer non plus, à l’exception des Serbes qui sont tout de même un peuple
qui aime la domination et le contrôle qui lui donne le sentiment de pouvoir et de
valeur. La Slave a horreur d’être amorphe et transparent, a toujours besoin de se
prouver à soi-même et aux autres et quoique une expansion territoriale mondiale
ne l’a jamais intéressé, il veut contrôler ses voisins car il se plaît à être
« chef de famille «. Une dissemblance de plus avec ses frères
nordiques qui puisent de nouvelles forces à partir de la méprisable passivité physique, le
Serbe a constamment besoin d’être actif et en mouvement pour entretenir en soi
l’énergie vitale. Même esclave, il exécute la tâche consciencieusement comme le
maître de son acte et de son but. A ces moments-là il représente « le devoir
pétrifié ». C’est l’un des rares points de rapprochement entre le type
slave et le type nordique. Ce dernier surmontera n’importe quel obstacle et
réduira n’importe quelle distance excepté celle qui existe entre lui et un
autre être humain. Il ne supporte pas de trop importantes intimités. Les
Méditerranéens (Slaves du sud inclus) ont
pour but dans leurs relations sociales quotidiennes de plaire au moyen de gestes,
de paroles, de mots d’esprit. Ils parlent pour parler non pour dire quelque
chose, ne connaissent pas l’expression minimaliste, leur communication abonde
en matériaux inutiles.
La forme est importante est appréciée au-delà de tout.
Ils occupent de l’espace, beaucoup d’espace pour imposer leur présence, pour
mieux communiquer avec « le public » car la vie est un théâtre ambulant, un acteur, un saltimbanque, un clown, une nature éternellement enfantine et
ludique qui supporte stoïquement et plus facilement que les autres les
vicissitudes de la vie et ses malheurs mais qui, par la loi de la réciprocité
diamétralement opposée, a aussi plus de mal à vivre des moments heureux.
Et voici ce que veut dire être Slave : jamais compris, jamais approuvé à cause de ses extrêmes constants... mais capable d'aimer, d'aimer assez passionnément pour être prêt à mourir et à tuer.
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