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SANG ET MIEL

                                                                
  

Les souvenirs m’inondent. Devant moi, éparpillées, reposent des feuilles de papier blanches. Je regarde des jeux de lumières dansant dans ma chambre et je vois, j’aperçois en eux tout un passé, toute une vie. Mon passé. Ma vie. L’incroyable clarté d’un temps disparu et oublié m’aveugle. Je ferme les yeux. Quelque chose en moi se brise. Des souvenirs, des visages, des paroles… depuis longtemps oubliés, relégués dans un coin sombre et éloigné de ma conscience se ravivent. Je les sens, je les entends, je peux les toucher, tellement ils sont près de moi, en moi. Je les aime… je les hais. J’ai toujours détesté ces sentiments ambigus que l’Est m’inspirait …et je les ai adorés - la vie diaprée des vents d’amont. Souvent, je me suis demandée pourquoi nous, les gens de l’Est, sommes si féroces et si doux à la fois, si puissants et pourtant si faibles. Je souris. Brosser un portrait du peuple slave est un travail qui me dépasse. Je n’insulte pas mon intelligence, mais s’aventurer dans un territoire pareil est quelque chose que très peu de gens pourraient faire avec succès. Je me contenterai de deviner.
Si je devais décrire le peuple slave en un mot, je dirais - PASSION. Passion de vivre, passion de mourir, de recevoir et de donner, de créer et de détruire. Quelqu’un dirait que c’est sauvage, moi, je dirais que c’est le cycle même de la vie. La spirale de notre existence. Comme le phénix de ses cendres, les Slaves meurent mais seulement pour renaître, plus forts, plus puissants que jamais et cela depuis des siècles. Insaisissables, incompréhensibles, ils représentent une éternelle énigme autant pour le reste du monde que pour eux-mêmes. Qui comprendrait un peuple destructeur dont la plus grande qualité est la joie de vivre ?
A la croisée de plusieurs traditions et influences, les Slaves vivent dans une dimension où le paysage culturel est tantôt opaque tantôt diaphane. Ils s’y perdent sans jamais se retrouver, ou se retrouvent pour se quitter aussitôt, dans un jeu de cache-cache interminable. Peut-être ils n’ont jamais appris à réconcilier différentes influences en eux, peut-être ils ont besoin de ce chaos pour entretenir une vie intérieure riche, riche en émotions, riche en sens. C’est peut-être là où gît la raison de l’exubérent  nationalisme romantique qui est devenu la berceuse de toute une gamme de générations.
Quiconque veut les connaître et les comprendre doit d’abord les aimer. Chose curieuse car normalement le processus est inverse. On voit, entend, comprend pour apprendre ensuite à aimer. Le Slave est impénétrable. Il ne fait partie d’aucun schéma préconçu, ne se plie à aucune formule de comportement adoptée par les autres. Il est individualiste, aliéniste, sauvage. Il est Slave.
Et  chacun qui souhaite le connaître doit sentir d’abord en soi-même une profonde  attirance vers ce peuple froid et passionné dont la vie est jalonnée par des contradictions qui s’annihilent, se réconcilient et se complémentent de la plus étrange façon.          
J’aime ce peuple. J’aime l’odeur qu’il dégage. L’odeur du passé qui se mélange à celui du présent laissant deviner à quoi ressemblera celui de l’avenir. Le parfum mystérieux de l’âme slave. Maintes fois je l’ai senti dans mes narines, ensuite. Maintes fois j’ai essayé de le garder.
Fuir. Fuir ces sensations dangereuses, envahissantes, qui pèsent. Etre au calme, être serein, loin de cette force de vivre qui engloutit et fait disparaître, loin de la mort, de la destruction, des combats…loin des Balkans. Loin des Balkans.
Mais comment ? Que faire pour extirper de soi l’héritage de toute une lignée d’ancêtres ? Se déraciner. Quelle trahison. Ne sommes-nous pas tous réceptacle d’un même héritage collectif et inconscient qui nous a été légué par nos anciens ? On ne peut pas fuir soi-même, ce qu’on est au plus profond de son être. Chaque tentative est vouée à l’échec.
 Les images se succèdent de ma vie d’antan. J’essaye de saisir le vicieux jeu d’un instant passé. Je ne réussis qu’à le rendre encore plus fuyant. Ce jeu, c’est le combat sempiternel à l’intérieur de moi, présent en doses mortelles dans mon peuple.
Ne donna-t-il pas le nom à toute cette partie du monde ? BAL -  KAN.  SANG ET MIEL. Il faudrait remercier aux Ottomans l’étymologie du mot. Ils nous ont bien baptisés. En même temps ils y sont pour quelque chose dans la formation du caractère rude,  résistent et inflexible des Slaves. Il ne faut pas tout de même suraccentuer leur importance. Certes, ils ont orientalisé la culture des Balkans mais ils ont aussi rendue l’Asie plus moderne quoiqu’il soit impossible de savoir dans quelle mesure. Les orthodoxes ont eu une autonomie assez large dans le domaine du droit et de l’administration, de la religion aussi.
On dit que les Slaves sont des pessimistes heureux. Leur art est tout en mélancolie, tristesse, sensibilité exacerbée qu’ils cachent. Ils rient et pleurent à la fois sans pourtant être fous. Ils prient orgueilleusement, se plient et se soumettent fièrement, tournent la défaite collective en victoire individualisée. La faiblesse même ainsi présentée devient force, devient pouvoir, devient dépit. Le Slave, mais plus précisément le Serbe est un être individualiste, si individualiste qu’il peut s’égarer et devenir aliéniste sans s’en rendre compte. Le peuple auquel j’appartiens est très peu solidaire. Le mot « pourquoi » brûle toutes les lèvres car on essaye de comprendre ; et « on » sont aussi bien les étrangers que les Serbes mêmes. Pourquoi les Serbes si fiers de ce qu’ils sont, si idéologiquement plongés dans ce nationalisme romantique qui est la cause de leur perte sont en fin de compte si peu unis, si peu solidaires ?  Dans mon pays nous appelons cela « le syndrome de la maison au bord du chemin » selon l’expression  venant de notre célèbre écrivain Ivo Andric, receveur du prix Nobel. Nous vivons au carrefour du vieux monde. Nous subissons des influences les plus diverses venant de toutes les parties du globe. Nous sommes des canaux par lesquels passent des courants culturels les plus étranges. Le point médian entre le vieux et le nouveau monde, Byzance et Rome, l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, le Bien et le Mal. Les Balkans. Ils flirtent avec les uns et les autres. Les influences religieuses, spirituelles, culturelles, géopolitiques qui nous transpercent ont un ascendant important sur notre comportement et notre manière d’être. Etant donné leur nature contradictoire nous n’avons jamais vraiment appris comment les gérer. C’est pour cela que nous engendrons des conflits étant nous-mêmes essentiellement conflictuels. La réalité que nous créons n’est jamais autre chose que le miroir déformé de notre propre nature profonde. Ajoutons à cela la lutte frénétique de la conservation de l’identité nationale en permanence menacée par ces mêmes influences citées ci-dessus et l’on obtient un mélange hétérogène de l’envie de rester dans la société moderne assimilant toutes les différences mais en préservant l’intégrité du peuple. Dans le combat que ce peuple mène avec lui-même disparaît le sens des petites différences qui deviennent et restent cruciales et il ne se demande jamais ce qu’il peut perdre mais comment il pourrait gagner. C’est la malédiction d’un petits pays qui veut être grand. Là-bas, nous sommes tous brassés, mélangés, identiques, mais il ne faut surtout pas le dire à voix haute si l’on tient à sa vie. Cela représenterait une attaque directe à l’identité nationale et comme notre peuple n’a jamais vécu dans l’opulence et que son système des valeurs ne ressemble à aucun autre il ne leur reste qu’une seule chose à laquelle s’accrocher – la fierté nationale ou le nationalisme tout simplement.
Le Serbe, pour toutes ces raisons-là, a un refus du compromis profondément enraciné en lui.  C’est un peuple révolutionnaire. Vous lui donnez l’occasion, il fera trois révolutions par jour, une première le matin, une deuxième dans l’après-midi et une troisième le soir. En dépit de son pouvoir d’adaptation hors du commun, les Serbes ne se sont jamais vraiment accoutumés à la pluralité démocratique. On dit que cela est dû à la transition politique et économique douloureuse mais ils ont toujours été dans la transition et ils le seront toujours.
 Prenons pour exemple le régime communiste qui a  attardé le pays de quelques décennies quoiqu’il ait arrangé certains problèmes. Un professeur d’histoire à Montréal et expert en « question balkanique » a longtemps étudié le phénomène.
 Après la deuxième guerre mondiale le capitalisme a connut son essor. Il doit sa popularité avant tout à la certitude qu’il inspirait aux gens fatigués des combats et de la lutte incertaine pour l’avenir. Ses promesses d’une société adaptée aux besoins de l’homme ordinaire, son encouragement à la collectivité, son idéalisme étaient tellement attirants au point d’être irrésistibles. Le capitalisme a mené à bien ses grands projets mais à moyen terme. La démocratie et la liberté d’expression ont cédé la place à la discipline idéologique et à la censure, cruelle et répressive. « Goli otok » , « le goulag de Tito » ou « l’enfer dans l’Adriatique » servait de remplacement à la thalasso et aux séjours paradisiaques à tous ceux qui s’insurgeaient contre le régime, par un geste, par un mot d’esprit ou par une tentative quelconque de le critiquer.
D’un autre côté on ne peut pas fermer les yeux devant le fait qu’il avait apaisé les luttes nationalistes, la conscience de la classe et avait stabilisé la région. Mais faute de capital et d’esprit d’entreprise qui représentaient un grand handicap de cette zone industrielle, les mesures staliniennes se sont implantées. L’Europe de l’Est, cette belle région où les espoirs démesurés ont toujours trouvé sa place sous le soleil, est devenue cynique et amère car déçue. Déçue de ses idéaux, de son nationalisme romantique si grandiose, dramatique et grotesque. Déçue par des mesures staliniennes oppressantes qui étouffaient toute liberté et toute création à quelque niveau que ce soit. Alors, les jeunes intellectuels de l’Est ont commencé à partir en laissant les pays à leurs bouchers qui n’arrêtaient pas de rejeter la responsabilité de leurs échecs aux traîtres, aux émigrants et aux voisins au lieu d’accuser leur propre incapacité et stupidité.
Voilà l’une des raisons de nos états sauvages qui font toute notre gloire. Que faire ? Que dire après tout cela ? Y a-t-il un moyen d’y remédier ? Oui. Peut-être. Peut-être il y en a un. Il y en a même plusieurs. Et comme le talent principal d’un Serbe consiste dans le fait de métamorphoser la défaite en victoire et la tristesse en joie grâce à son invincible optimisme pessimiste, il a réussi à transposer la douleur en art, « le mal du siècle » en musique et paroles. Pendant que la guerre sévit et seulement les « happy few » mangent à leur faim, toute la nation chante devant leurs petits écrans écoutant et regardant leur « stars nationales » préférées. Je me suis particulièrement intéressée à ce phénomène et ai essayé de le comprendre. Le langage de la musique parle à travers des sons anciens, des symboles, des archétypes. C’st le pathos et l’éthos d’une tribu, d’un peuple. La musique ethno révèle leur âme. Le « mélos » slave est toujours reconnaissable à sa douleur et à sa tristesse mais aussi à sa joie et à son allégresse. Toujours, répétons-le, crucifié entre le courant rationaliste occidental et l’irrationalisme oriental, cet esprit vacille en permanence. Essayer de les réconcilier ne représente que le premier pas dans une série de tentatives avortées ayant pour but de rapprocher deux pôles d’électricité opposée et qui ont bien souvent pour conséquence un court-circuit. Le doux mysticisme oriental et le raisonnement moderne se heurtent dans l’esprit de ces gens. Ils ne sont pas assez rationnels pour brider leurs passions et leurs émotions et les canaliser de manière créative vers une autre direction mais ils ne sont pas non plus suffisamment « orientaux « pour ne s’adonner qu’à la méditation et à la contemplation et devenir des "sages". Ce heurt fait notre Golfe de Gascogne, le triangle des Bermudes, une caractérologie diamétrale, un itinéraire dangereux pour chacun qui s’y rend d’une manière ou d’une autre, pour une raison ou une autre. La mer balkanique ne se tient jamais tranquille quoiqu’elle semble parfois dormir. C’est le sceau spirituel de cette contrée du monde. Il s’agit d’une région éternellement transitoire, le point de rencontre de toutes les oppositions. La mise en équilibre de ces différents principes mentaux est un vrai exploit et n’est possible qu’au moyen de l’éveil de la conscience et de l’intégration des opposés dans une forme d’esprit plus raffinée, sublimé, en essayant de l’encadrer dans une mentalité dominante : occidentale ou orientale. Malheureusement, la symbiose n’est pas possible entre l’Occident en tant que symbole technique et pragmatique et l’Orient qui est plutôt intuitif et enclin au fatalisme. L’Occident représente le figure du père, l’Orient celle de la mère. La fusion multi culturale de plusieurs siècles a crée un embryon qui deviendra ensuite un peuple androgyne (dans le sens philosophique du terme), le nœud spirituel de plusieurs civilisations. L’image du héro qui découle de l’inconscient collectif de cette nation est un personnage maudit, un éternel martyre, victime expiatoire consentante entourée de forces maléfiques. Ce héros on le rencontre dans les chansons de geste serbes, bosniaques, monténégrines, macédoniennes, dans une faible mesure celles des Croates et des Slovènes. La musique qui les accompagne est orientale et ne l’est pas, est occidentale et ne l’est pas. En faite, elle n’est ni l’un ni l’autre mais quelque chose de complètement différent des deux phénomènes précédents. L’Etat-tampon entre les mondes disparates afin que leur frottement soit plus supportable et moins douloureux. Tout cela est dû à la position géostratégique disgrâcieuse de cette partie du monde. De là vient la tentative de l’Europe d’intégrer la montagneuse péninsule balkanique dans la famille européenne. Et de là vient toute la peur du peuple : dans les termes psychologiques cela veut dire essayer d’annihiler un élément spirituel et créer un autre peuple exemplaire sorti du laboratoire macabre d’alchimistes européens. Puis, cela voudrait dire exterminer l’élément oriental au profit de l’élément occidental et nordique. La crainte est d’autant plus grande que l’individu de l’Europe de l’Est est un métis, une plante rare qui fleurit à la lisière de deux mondes, seule, unique et différente, intercalée entre deux civilisations.
La mélancolie slave n’est pas encore tout à fait élucidée. Elle existe, cela est sûr, mais dans quelle mesure et dans quelle profondeur ? D’aucuns diraient qu’elle cohabite avec l’optimisme inné du peuple et qu’ils font ensemble assez mauvais ménage. Moi je pense que cet optimisme n’est qu’une apparence et découle du besoin vitale du Serbe d’agir par dépit envers tout le monde ce qui se répercute surtout sur sa propre vie mais cela, il ne l’a pas encore compris. La mélancolie slave est incurable, elle se trouve dans le tréfonds de chaque être habitant sous le firmament délimité par le Caucase, l’Oural et jusqu’au dernier point géographique des Balkans, en Croatie. Une tristesse profonde et pesante se dégage de chaque œuvre artistique de ce peuple. La question n’est pas d’où vient la méchanceté de ce dernier, la vraie question est : « La méchanceté provient-elle de cette incommensurable tristesse qu’engendre l’esprit slave ? » Il s’y trouve tout un assemblage de défauts : vengeance, rancune, vanité, ambition maladive, individualisme insolent …L’Anglais entre dans la politique avec une certaine réserve et avec le sens de modération, le Slave du Sud s’y donne entièrement, s’abandonne passionnément à une idée pour laquelle il se bat pendant un certain temps à l’instar d’un fanatique, ensuite baisse les bras, renonce… déçu il se laisse aller dans une apathie politique pour tout ce qui ne touche pas à ses propres intérêts. Seulement quelques fines nuances séparent le jeune et tenace partisan de l’indifférence engourdie. Il est aiguillé par deux extrêmes : une foi et un enthousiasme absolus d’un côté et une grande méfiance et la répugnance de l’autre. Donc, d’après ces dispositions naturelles, c’est un extrémiste politique. Le slogan qui l’incitera doit être bien défini et acéré comme son épée, semblable à un cri de guerre, à même de raviver et ressusciter en lui l’antique combattant. Tout ce qui semble modéré, même de loin, rationnel, scrupuleux, ne peut enflammer son tempérament, ne peut même réveiller un simple intérêt si faible soit-il. Il y a trois raisons pour lesquelles le Slave du Sud agira politiquement : la question politique touche la racine de son être, touche à son intérêt personnel et matériel ou concerne ses plus profonds sentiments traditionnels. De tous les trois, paradoxalement c’est ce dernier qui le fait agir le plus souvent et le plus rapidement. Pourquoi ? Une question qui risque de rester sans réponse. Le Serbe n’est pas forcément motivé par l’argent. Il n’en a jamais eu assez pour qu’il puisse lui manquer. Les conséquences du régime communiste se voient ici aussi. Le Serbe n’a jamais dû travailler beaucoup pour gagner sa vie, alors il n’a pas appris à apprécier la valeur de l’argent. Pour un travail minimum il gagnait un salaire optimum. C’est pour cela que l’on dit que le communisme a fait beaucoup de faignants et un monstrueux apparat bureaucratique. D’ailleurs, c’est vrai. Par conséquent, l’homme de notre peuple a adopté un comportement très léger envers l’argent pensant que c’était quelque chose qui tombait du ciel, pas nécessairement en amas mais qui tombait tout de même. Aujourd’hui il commence à comprendre que cette utopie a fini par s’évaporer et disparaître complètement. Il prend conscience de la valeur de certaines choses mais doucement et très lentement.
En ce qui concerne son intérêt personnel, je ne dirais en aucun cas que le Serbe est un être désintéressé, mais allant d’un extrême à l’autre, il passe de l’égoïste à quelqu’un de fortement empathique et altruiste quand il s’agit des personnes qu’il aime. Une fois de plus, il ne sait pas aimer modérément, il le fait passionnément bien souvent de manière dramatique et théâtrale. Par conséquent il met les intérêts de ces personnes avant les siens. La raison pour laquelle il ne s’engagera pas politiquement est que ses intérêts-là sont de nature différente et sont touchés rarement par la situation politique du moment. Quant à ses intérêts à lui, il est prêt à se battre dès qu’il a surmonté son inertie et sa paresse et a trouvé une bonne motivation car le simple fait de pouvoir changer sa vie, bien souvent, ne lui est pas suffisant. Et c’est là où l’on arrive à ce moment crucial qui représente la motivation et englobe la troisième raison d’agir citée plus haut : la conservation de la tradition. Pourquoi la tradition est-elle si importante pour notre homme 
Le Serbe a un très fort instinct de survie nationale. C’est un endroit où il s’abrite pour fuir « l’incompréhension du monde » concernant sa grandeur morale et intellectuelle. Ayant été au fil de l’histoire bien souvent rejeté ou séparé du reste du monde il a appris que l’union fait la force et qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Une certaine forme d’autosuffisance s’est développée et son orgueil inné l’a poussé à se renfermer sur lui-même en déclarant solennellement « qu’il n’avait besoin de personne ».  De crainte que le glas ne sonne pour son identité en tant que peuple, il a fait recours à des mesures draconiennes, liés à la violence et à l’agressivité. Son ego, son Moi, son Je national devenu démesuré a pris peur. Il se voyait déjà submergé par de nouveaux courants et nouveau conquérants moraux, religieux, intellectuels,  brandissant leur épée terrifiante et éliminant toute la culture et toute l’histoire « d’un vieux peuple » en un tour de main. Il faut agir. L’ego national tout comme l’ego individuel a peur de se diluer et de se fondre dans l’universel car cela signifierait perdre son indépendance, disparaître, cesser d’exister, renoncer à soi et devenir, au pire des cas, esclave de ceux qui sont plus forts et au meilleur des cas, végéter à un niveau inférieur et ne provoquer que de l’indifférence en tout ce qui l’entoure. L’ego national est la conscience que l’on a d’appartenir à un peuple, à un groupe, le sentiment d’une extrême importance pour chaque être humain d’autant plus développé que le sentiment du rejet est ancré. C’est aussi le synonyme de l’auto-préservation qui à son tour impose la protection du territoire et d’intérêts nationaux. Les Serbes se sentent toujours isolés du reste du monde, notamment ces dernières années, ils se sont assignés pour mission de garder coûte que coûte la dignité collective. Mais ils n’ont jamais été plus désunis. C’est le syndrome du paradoxe des deux pages. Recto : « Ce qui est marqué verso est faux ». Verso : »Ce qui est marqué recto est vrai ». Dans cette voie de l’accomplissement d’une nation indépendante et forte chacun est devenu nation pour soi. Tellement il débordait d’enthousiasme et d’orgueil qu’il est devenu enthousiasme et orgueil. A force de ne rien pouvoir faire sans passion et fierté il a fini par les incarner perdant complètement de vue le principe premier. C’est cela un Slave du Sud, passionné, tellement passionné qu’il oublie tout le reste sauf la passion qui devient but pour elle-même, la motrice de chacune de ses actions en autopilotage. Il est toujours en proie à la poussée d’adrénaline qui l’incite à être le plus fort, le premier en tout, le meilleur, le grand leader, peu importe les conséquences. Alors, il place sous un même dénominateur la passion, la violence, la défense des intérêts nationaux et l’ambition personnelle. Dans ce climat tumultueux où ne persistent que de grandes passions, il se retrouve plus tôt ou plus tard consumé par sa propre flamme ce qui ressemble dans une grande mesure à un auto-incendie spontané. Mais c’est le risque à prendre, le prix à payer et le Serbe ne le fait que très volontiers. Parce que c’est un guerrier, un montagnard inflexible et intransigeant avec une conception très patriarcale du monde. Cruelles et bestiales, les traces païennes de son être témoignent d’une grande partie de son cerveau reptilien. Ni le christianisme ni d’autres formes de civilisation n’ont réussi à cultiver ou au moins mitiger ce type de comportement. Bien que cette région soit en grande partie religieusement définie bien souvent cela ne prend qu’un aspect extérieur, une sorte d’identification avec des structures régnantes tandis que dans son for intérieur il reste un rebelle, « haïdouk », « odmetnik » avec un instinct d’indépendance très prononcé. Il est transpercé par le fil de la mi-civilisation. Guerrier téméraire et sans scrupule, il ne tient qu’à l’honneur, qu’au principe, mais son principe. Il ne tient pas compte du moral existant mais en crée un autre, le sien, toujours vaniteux et orgueilleux. Ces hommes sont des figures très masculines, ils sont forts et résistants, dominants avec une sensibilité tant exacerbée qu’occultée. Alors pour mieux les cacher ils recourent à l’autocratisme, à l’obstination, à l’égoïsme et à une expression physique et orale vulgaire. On ne sera pas loin de la vérité en déclarant que ces hommes sont culturellement attardés. Mais il y a un autre type anthropologique, celui qui habite en Slavonie, par exemple, ou en Voivodine, il est d’un tempérament beaucoup plus doux, plus cultivé, plus flexible. Il se caractérise par un certain hédonisme, enclin à la danse et à la musique. Très gaie et docile il est d’une nature extrêmement généreuse, chaleureuse, accueillante. En revanche, on peut  remarquer chez lui une forte inertie et l’amour de la routine provinciale.
L’idéologie religieuse, éthique et sociale a souvent montré un esprit négatif et oppositionnel, contre l’Etat notamment : citons ici les Cathares (le bogomilisme a pris son essor dans les Balkans, en Bulgarie), le tolstoïsme… Tolstoï et Dostoïevski sont l’expression la plus philosophique de l’esprit asocial de ce peuple, pour qui l’Etat n’est que la forme d’une violence organisée.
Les Slaves ont malgré tout la fibre altruiste et humaniste, si incroyable que cela puisse paraître. Cependant leur inclination vers l’individualisme et l’anarchisme n’est pas compatible avec la forme plus élevée de l’agrégation sociale que nous appelons la citoyenneté. Il est à noter qu’il existe une certaine propulsion à la résignation devant les éléments lorsque ils se déchaînent et un grand manque du sens de l’organisation d’où le chaos déterministe et le très célèbre nihilisme slave qui caractérisent surtout les Slaves du Sud et les Russes. Rappelons-nous Bazarov, le héro des « Pères et fils » de Tourgueniev ! Le nihilisme est une plante qui pousse naturellement dans l’âme slave. Elle n’a pas besoin d’être soigné, cultivé... c’est une mauvaise herbe. Le nihilisme est responsable de notre esprit révolutionnaire toujours en activité, éternellement mécontent de tout contrairement au peuple nordique par exemple qui privilégie la discipline, l’ordre, le travail, avec le stoïcisme pour philosophie et avec un certain mépris pour l’émotion, l’intuition et la passivité physique. Ils concentrent toutes leurs forces psychiques sur l’action. Leur nature est obéissante et prompte à se soumettre à une forte organisation, pensant que l’Etat est au-dessus de l’individu, l’intérêt collectif au-delà de l’intérêt personnel, où le Moi est assimilé et soumis à un Moi  élevé au niveau d’Etat. L’Allemand a une conscience totalitaire, militariste, mécaniquement précise et efficace. C’est un soldat. Le Slave est anarchiste, romantique, instinctif, guérilléro, franc-tireur,  toujours contre le système. Et il est expressif, tant dans ses faits et gestes que dans sa façon de parler, d’aimer…de haïr. Même son expression religieuse est extatique bien qu’il ne soit jamais un fanatique. Lorsqu’il parle, le Russe est enivré, il est frère de tout le monde, ami, il sent l’humanité entière comme sa famille. L’homme du Nord est froid, calme, inexpressif, conquérant, en permanente recherche du nouveau territoire où il pourrait s’installer et non seulement physiquement, mais aussi mentalement, d’où son esprit d’innovation sur le plan technique, en grande partie conditionné par la géographie et le climat plutôt monotone et morose. La Sibérie est souvent regardée de manière hostile mais le Russe qui y habite est toutefois chaleureux et empathique, altruiste. Le peuple balte est un peu spécial car il représente le brassage d’éléments nordique et slave dû à la synergie culturelle et sociale des deux cercles. D’un coté ils sont dépourvus de passion et de tempérament et leur raisonnement analytique et critique offense parfois l’altruisme d’un méditerranéen. Celui-ci est un acteur, celui-là est un observateur, sa fantaisie est lente mais audacieuse, solide et constante. La passion existe mais elle est toujours au service de la volonté à savoir délibérément canalisée vers le progrès et la création. Taciturne, l’homme du nord est rarement très extraverti et communicatif à la différence de ses frères Slaves et méditerranéens qui le sont à l’excès jusqu’à devenir mélodramatiques. Le désir d’une vie familiale tranquille et paisible va de pair avec cette exubérance sur le plan social, on dirait que de cette manière-là le Slave équilibre sa vie. Il ne souhaite pas gouverner les autres peuple ou les conquérir mais ne veut pas être gouverné et subjuguer non plus, à l’exception des Serbes qui sont tout de même un peuple qui aime la domination et le contrôle qui lui donne le sentiment de pouvoir et de valeur. La Slave a horreur d’être amorphe et transparent, a toujours besoin de se prouver à soi-même et aux autres et quoique une expansion territoriale mondiale ne l’a jamais intéressé, il veut contrôler ses voisins car il se plaît à être «  chef de famille «. Une dissemblance de plus avec ses frères nordiques qui puisent de nouvelles forces à partir de la méprisable passivité physique, le Serbe a constamment besoin d’être actif et en mouvement pour entretenir en soi l’énergie vitale. Même esclave, il exécute la tâche consciencieusement comme le maître de son acte et de son but. A ces moments-là il représente « le devoir pétrifié ». C’est l’un des rares points de rapprochement entre le type slave et le type nordique. Ce dernier surmontera n’importe quel obstacle et réduira n’importe quelle distance excepté celle qui existe entre lui et un autre être humain. Il ne supporte pas de trop importantes intimités. Les Méditerranéens (Slaves du sud inclus)  ont pour but dans leurs relations sociales quotidiennes de plaire au moyen de gestes, de paroles, de mots d’esprit. Ils parlent pour parler non pour dire quelque chose, ne connaissent pas l’expression minimaliste, leur communication abonde en matériaux inutiles. 
La forme est importante est appréciée au-delà de tout. Ils occupent de l’espace, beaucoup d’espace pour imposer leur présence, pour mieux communiquer avec « le public » car la vie est un théâtre ambulant, un acteur, un saltimbanque, un clown, une nature éternellement enfantine et ludique qui supporte stoïquement et plus facilement que les autres les vicissitudes de la vie et ses malheurs mais qui, par la loi de la réciprocité diamétralement opposée, a aussi plus de mal à vivre des moments heureux. 
Et voici ce que veut dire être Slave : jamais compris, jamais approuvé à cause de ses extrêmes constants... mais capable d'aimer, d'aimer assez passionnément pour être prêt à mourir et à tuer. 


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