Get Even More Visitors To Your Blog, Upgrade To A Business Listing >>

L’oeuvre du premier honnête homme global ?

Qu’est-ce qui fondamentalement distingue l’homme des animaux ? Qu’a l’homme de plus pour être parvenu à se hisser en haut de la chaîne alimentaire ? Qu’est-ce qui a permis à l’homme de distancer le singe, son frère d’il y a quelques centaines de milliers d’années ?

Pour Yuval Harari, l’auteur de Sapiens, la réponse à toutes ces questions repose dans sa capacité à parler de choses qui n’existent pas. Entre il y a 70 000 et 30 000 ans, l’homo sapiens, est entré dans ce que l’auteur appelle la révolution cognitive et il l’a fait grave au langage, Incroyablement malléable, son langage lui permet de connecter un nombre limité de sons et de signes pour produire une infinité de significations. C’est grâce au langage que l’homme peut interagir avec les autres humains et parler  d’une réalité qu’il peut toucher et qu’il peut voir. Mais c’est aussi ce qui lui permet de s’extraire de son environnement immédiat et de communiquer avec les autres humains sur des éléments non réels, sur des fictions qu’il aura fabriquées avec ses normes et son système de valeurs. Ces fictions nous explique Harari, ce ne sont rien moins que les religions, les nations, les droits de l’homme ou les entreprises.

Une fois ce postulat posé, Yuval Harari se lance avec Sapiens dans le récit de l’étendue de ce que l’homme a réalisé dans ces 70 000 dernières années. 70 000 ans, c’est très court à l’échelle du temps. Et quand on pense combien la terre est minuscule à l’échelle de l’univers, on réalise combien l’homme, sur sa petite terre, dans son petit coin, pendant ces 70 000 années, a créé une incroyable machine à fictions.

Harari relève, chez l’homme, sa capacité à raconter des histoires pour assurer un lien social qui lui permet de survivre et de procréer. Pour écrire ce livre, Harari, lui, s’est transformé en magistral conteur et en génial vulgarisateur. Si l’ouvrage suit un ordre chronologique, il est axé sur vingt thèmes qui viennent illustrer les trois grandes étapes de l’évolution humaine : la révolution cognitive, la révolution agricole et la révolution scientifique. Chacun des thèmes est illustré par une, deux trois anecdotes de l’histoire relatées avec une grande verve et souvent beaucoup d’humour qu’il va chercher aussi bien dans l’histoire de la Tasmanie que celle de l’Inde ou de l’Angleterre.

Il est peu dire que Sapiens se lit comme un roman et bien mieux qu’un roman, avec ses héros, ses rebondissements et ses scènes d’anthologie. Même si l’auteur explique soigneusement que l’histoire n’est pas un processus linéaire – même si elle se souvient moins bien des peuples disparus, des langues évanouies, des expéditions qui échouent et des hommes politiques battus  -, il tient le lecteur en haleine en créant un fil rouge autour d’un voyage de 70 000 ans qui touche aussi à l’économie, à l’anthropologie, à la sociologie, etc.

Le livre fourmille d’anecdotes : de comment la cuisson des aliments a permis à l’homme de digérer plus vite et d’allouer l’énergie économisée à son esprit plutôt qu’à son corps, de comment l’Amérique a été baptisée par erreur du nom d’un marin qui ne l’a pas découverte, de comment la traite des Noirs entre le XVIème et le XIXème siècles résultait avant tout d’une décision économique et sanitaire, de comment l’explosion d’une énorme bulle financière qui a rendu les finances de l’Etat exsangues a contribué à la révolution française, etc. Harari n’hésite pas non plus à bousculer quelques idées reçues : en définissant la religion comme un système de normes et de valeurs fondées sur la croyance en un ordre surhumain, il range les grandes idéologies du XXème siècle (libéralisme, communisme, capitalisme, nationalisme et nazisme) au rang de religions au même titre que le Catholicisme ou l’Islam.

Après 400 pages de détails historiques, Harari nous rend pourtant à l’évidence : d’un pur point de vue scientifique, la vie humaine n’a aucune signification. Elle n’est que le résultat de processus évolutifs aléatoires qui n’ont aucun objet ni aucun but. Nos faits et gestes ne font pas partie d’un plan cosmique divin et si la terre venait à disparaître, l’univers continuerait sans doute à tourner comme si de rien n’était. La conséquence immédiate de cette réalité scientifique est que la signification que chacun donne à sa vie, cet autre « storytelling », n’est qu’illusion.

Alors bien entendu, arrivé à ce constat dépressif, Harari ne peut que s’interroger sur la signification réelle de nos vies et sur ce qui participe à notre bien-être. L’auteur devient alors plus philosophe qu’historien, son esprit vagabonde sur le bonheur et la souffrance des individus sans pourtant trouver plus de solutions que les philosophes, poètes et religieux qui s’y essaient depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.

Harari est formel: notre monde ne va cesser de se globaliser car la planète adhère de plus en plus aux mêmes valeurs de capitalisme, de droits de l’homme, de justice, etc. Et si nous allons vers encore plus de globalisation, Harari pourra se targuer d’avoir écrit le premier livre d’histoire globale. Digne héritier de l’ « honnête homme » de Montaigne, il allie une culture livresque et une remarquable capacité à la transmettre.

Pour une lectrice peu versée en histoire comme je le suis, ce livre a été une révélation. Bien entendu, j’ai en tête quelques morceaux du puzzle du monde étudiés à l’école, glanés dans quelques romans ou racontés dans quelque film hollywoodien. Ma connaissance historique est très marquée par mon éducation française, mes deux années passées au Japon et mes neuf années aux Etats-Unis. Mais jamais je n’avais eu une telle perspective d’ensemble, Harari raccroche les morceaux de mon puzzle historique en en donnant une cohérence et une logique que jamais je n’avais suspectées.

Hier, j’ai assisté à un meeting politique, j’ai commencé un roman et discuté de startups avec l’un de mes enfants. A chaque fois, je n’ai pas pu ne pas me dire que rien de cela ne contribuait à ma survie et que chacun de ces actes revenait à participer à l’une des fictions inventées par l’homme. A chaque fois, je n’ai pas pu ne pas me demander : à quoi bon ? Même à cette question, Yuval Harari trouve la parade : tant que je peux me convaincre que les fictions auxquelles je participe sont en ligne avec les fictions des gens autour de moi, je devrais parvenir à trouver le bonheur dans cette conviction.

CQFD




This post first appeared on Route 125 | Impressions D'Amérique… Puis De Par, please read the originial post: here

Share the post

L’oeuvre du premier honnête homme global ?

×

Subscribe to Route 125 | Impressions D'amérique… Puis De Par

Get updates delivered right to your inbox!

Thank you for your subscription

×